Ceux qui sont sans abri... en France
Jean RODHAIN, « Ceux qui sont sont sans abri… en France », Messages du Secours Catholique, n° 35, décembre 1953, p. 1.
Ceux qui sont sans abri... en France.
Hollande, Japon, Calabre, Grèce. En cette année 1953 nous avons sollicité les Français pour quatre sinistres à l'étranger. L'appel de Son Éminence le Cardinal Feltin, que nous avons l'honneur de publier aujourd'hui, rappelle l'actualité des secours pour la Grèce.
Mais pour la France ?
Sans doute, jour par jour, chaque délégation du Secours Catholique additionne des gestes locaux dont le bilan final est inchiffrable, mais considérable. Chaque envoi fait pour les « Cas de Messages » augmente ce bilan, et demain nous inaugurons l'asile préparé par le Secours Catholique pour les Nord‑Africains : nous n'avons fait aucun appel spécial pour acheter et aménager cet important immeuble : sans bruit, les lecteurs de Messages, par leurs dons continuels, y ont pourvu.
Mais au lieu de ces miettes, pourquoi ‑ me demande-t-on de toute part ‑ pourquoi n'y a‑t‑il jamais un appel plus vaste, plus spécial pour une cause « de chez nous » ? J'ai toujours refusé, comme on refuse de tendre la main « pour soi ».
* * *
Mais aujourd'hui je cède : car voici l'heure d'entreprendre devant une échéance impossible à reculer.
Paris a cinq millions d'habitants. Paris a donc plus d'habitants que la Suisse tout entière. Vous qui avez visité la Suisse, vous avez admiré ces multiples asiles de nuit, propres et nets, qui dans chaque ville sont prêts pour l'accueil...
Revenez à Paris et comptez les asiles de nuit. Parmi eux, il y en a deux ou trois d'admirables, mais ils sont tous surpeuplés. Comptez parmi eux ceux qui sont une réalisation catholique[1]. Cherchez quel est l'asile pour hommes ouvert toute l'année. Non ! ne cherchez plus : il n'y en a pas un seul.
Celui qui sort de l'hôpital, celui qui arrive de province sans argent, celui qui ne peut plus payer sa chambre d'hôtel jusqu'à la fin du mois, celui qui vient frapper à votre porte le soir, actuellement, vous êtes obligé de lui conseiller le trottoir près de la bouche du métro. Il n'y a rien d'autre, à l'heure présente, chez nous, pour lui, alors que les églises seront pleines à Noël.
‑ Ce que vous n'avez pas fait à l'un de ces plus petits, c'est à MOI que vous ne l'avez pas fait (Mat. XXV. 45).
‑ Prenez et mangez, ceci est MON corps (Mat. XXVI. 26).
Ces deux phrases sont sur la même page de l'Évangile de saint Mathieu. Pourquoi prendre à la lettre la seconde et point la première, alors que le Christ ici et là se met personnellement en cause ?
Le Paris catholique est saturé de manifestations hautement intelligentes. Ce ne sont que Congrès, sessions, journées d'études nationales ou internationales. On s'essouffle à courir de l'une à l'autre. Ici un académicien célèbre, là une âme anxieuse, détaillent avec angoisse les droits et les devoirs du chrétien ou autopsient avec profondeur les tréfonds de la conscience chrétienne. Et tout ceci, assaisonné de grands cris et de grands articles sur la masse avec qui il faut avoir le « contact ».
Pendant ce temps‑là, en fait de contact dans ce Paris aux 5.000.000 d'habitants et aux 500 églises et chapelles les chrétiens n'ont pas un seul lit à offrir au pauvre frappant à votre porte...
Il faudrait cent millions de francs pour construire cette "Cité‑Secours" que vous devinez déjà autrement présentable qu'un asile style 1820. C'est une aventure risquée que d'entreprendre ceci. C'est justement et exactement ce que nous allons risquer et allons entreprendre. Et nous l'entreprendrons parce que nous comptons sur vous.
Bon Noël... Bonne année...
Mgr Jean RODHAIN
Prochainement, nous donnerons des précisions sur ce sujet. Dès maintenant, pour cette « CITÉ‑SECOURS » la souscription est ouverte : C.C.P. 5620.09.
Prochain article : "Mais ne craignez‑vous pas d'héberger des cas abusifs ?"
[1] Nous n'oublions pas "l'Étoile du Matin", mais réservée aux sortis de prison, ni la "Mie du Pain", mais fermée la moitié de l'année.