Le jeûne, la faim et le concile
Jean RODHAIN, « Préface » in Abbé GUILLAUME, Jeûne et charité, Paris, SOS, 1954, p. 5-6.
Le jeûne, la faim et le concile
Sidoine, mon sacristain têtu, prétend qu'il serait bien temps d'adapter le Vendredi à notre époque. D'après lui, le "maigre" n'est plus une pénitence. D’après lui, les conserves de thon et le marché bien fourni en arrivages de marée procurent un repas qui ne le cède en rien à celui des autres jours. Sidoine prétend que l'Église devrait, le Vendredi comme en Carême, exiger l'abstinence de l'alcool, du tabac, de la radio et de la télévision. Cela, au moins, répète Sidoine, serait une véritable privation, et de plus cette pénitence procurerait un peu de calme dans les foyers, et dans les âmes, trop agités par le bavardage "sans fil" de ces temps.
Je crois bien que Sidoine a raison, mais je ne répète pas en chaire ce qu'il me démontre à la sacristie, parce que le retour à la véritable discipline pénitentielle comporte autre chose qu'un catalogue rajeuni de privations matérielles mieux adaptées à nos conditions de vie.
Dans la primitive Église, aux Quatre Temps et le Vendredi et aux Vigiles, se privait-on uniquement par ascétisme ? Uniquement pour souffrir dans le cadre de la Rédemption ? Uniquement pour assouplir le corps afin que l'âme mieux allégée puisse cheminer vers le Seigneur avec un poids moins lourd à traîner ?
Voici cent textes anciens qui n'ont qu'un seul cri : « le jeûne devient parfait si la privation vient en aide aux frères dans la misère. »
Au moment où les pays du confort découvrent les pays de la faim, au jour où l'Occident cherche son devoir en face des nouvelles nations sous-développées, chacun réclame une recette, chacun demande une méthode, chacun veut aider.
L'Église est déjà « en avant ».
Les ingénieurs qui, en Afrique, avec les instruments les plus modernes, tracent les parcours de futurs canaux, en arrivant aux points choisis par eux, découvrent les repères déjà posés il y a vingt siècles par les ingénieurs romains.
Ainsi, sur les chemins nouveaux des remèdes à la misère actuelle, on découvre les repères préparés par l'Église, cette maîtresse en pédagogie.
A l'enfant comme à l'adulte, par ses rites et ses textes, elle fait découvrir sur le chemin du Christ les « pauvres du Christ ». Ils ont une autre figure qu'au Ve siècle : ils sont des peuples entiers. Ils ont d'autres besoins qu'au XIIIe siècle. Mais vis-à-vis d'eux, en ce temps de la campagne « Faim dans le Monde », voici un Carême qui reprend sa vraie figure, sans tristesse : le Christ c'est le pain consacré, mais c'est aussi le pain partagé.
Le Secours Catholique est heureux de vous offrir ce travail à l'instant où l'Encyclique récente nous appelle tous à regarder vers les nations de la faim.
Mgr Jean RODHAIN
Secrétaire général du Secours Catholique