Le Pape d’hier et de demain
"Le pape d’hier et de demain", MSC, n°82, novembre 1958, pp.1-2.
Le Pape d’hier et de demain
En 1943, un prisonnier de guerre français (Maurice R.), d’un kommando de Wiesbaden-Biebrich, organise dans sa ferme un petit cercle d’études. Ils sont sans aumônier. Au bout de quelques semaines, M. R. se trouve incapable de répondre aux objections. Il rédige un questionnaire sur « les frères du Seigneur et l’Immaculée Conception ». Et il l’envoie bravement au Pape, en le priant de répondre à. ses doutes. Un mois après, je suis convoqué à la Nonciature où Son Exc. Mgr Valerio Valeri me remet le dossier revenant de Rome, avec tous les éléments de la réponse préparés par ordre du Saint Père qui me charge de documenter le prisonnier.
J’ai ainsi, dans les Archives de l’aumônerie des Prisonniers de guerre, des centaines de preuves d’interventions du Souverain Pontife, dont les plus énergiques en faveur des déportés n’ont pas encore trouvé leur historien...
Nous avons aussi, dans la mémoire et dans la cœur, ce long dialogue avec les paralytiques français de l’Année Sainte, ces audiences multiples d’un Pape qui interrogeait minutieusement sur l’action du Secours Catholique, qui exigeait implacablement des précisions sur la situation exacte des réfugiés ou des prisonniers.
A la veille de l’Année Sainte, le Souverain Pontife, ayant composé une prière spéciale, ordonne d’en publier des versions en plusieurs langues pour les futurs pèlerins. La traduction en français est confiée au cher Mgr Fontenelle. Celui-ci, dont la légendaire bonté n’avait d’égale que l’économie, rédige le texte français au dos d’un menu de restaurant et porte lui-même le papier à l’Imprimerie Vaticane. Il ne se doutait pas que Pie XII, mécontent des épreuves, exigea de voir le manuscrit. Il y corrigea de sa main une légère erreur de syntaxe, et deux expressions dont les nuances ne correspondaient pas à son texte. J’ai vu, dans les archives de l’Année Sainte, ce menu d’une trattoria romaine avec les ratures de la petite plume d’acier de ce Pape si sensible aux nuances de la langue française.
On ferait un volume avec les traits de cette délicatesse d’une précision incroyable de ce Pape que nous pleurons.
Mais Pie XII serait le premier à nous demander de regarder plus loin que sa propre personne. Ce qui est admirable au-delà de la figure lumineuse de ce Pape, c’est cette Rome capitale de la Charité.
Aux antipodes de la Cité du Vatican cette infirmière a veillé toute la nuit ses lépreux. Elle ne quitte leurs plaies que pour psalmodier Prime. Elle est liée à cet hôpital et à cette psalmodie par le vœu qu’elle a fait librement, et ce lien qui la lie est tenu finalement par une autorité installée à Rome.
Ces enfants de la banlieue de Chicago entassent, jour par jour, de multiples colis pour les enfants d’Afrique, parce qu’un appel leur est venu du Père Commun : ce Père Commun leur a parlé directement, par radio, de Rome même.
Dans cette Université lointaine, ce professeur explique la Charité du Christ dans la cité ou la profession, et ses élèves prennent bonne note de son cours tout nourri d’Encycliques : elles sont datées de Rome.
Faites au hasard une coupe histologique dans le tissu vivant de la Charité, et vous trouverez chaque fois un nerf spirituel, un ligament canonique qui, en fin de compte, vous conduira vers la tête de l’Église.
Cette tête de l’Église est marquée dès l’origine, de la charité de l’Église : « Ici, à Rome, la grâce et la charité du Maître nourrissent plus de 1.500 veuves et indigents » .
A Rome, le diacre Laurent dévoile son véritable trésor « Les pauvres à la charge de l’Église ». Il les dévoile, non seulement au barbare avide de jadis, mais au pèlerin curieux d’aujourd’hui.
Qu’il descende aux Catacombes, le pèlerin fréquentera les « fossores » avec leur réseau multiforme des charités souterraines au service des martyrs.
Voici, dans l’enceinte d’Aurélien, « l’incessante circulation de conseils, de renseignements, de secours matériels » qui marque la charité révolutionnaire des communautés romaines à l’apogée de l’Empire.
Qu’il s’attarde entre le Capitole et l’Aventin, et le pèlerin découvrira ces laïcs romains, responsables de la charité qui gèrent les 18 grandes diaconies, distribuent les secours : ils s’avancent, conduisant leurs pauvres au bain hebdomadaire et chantant avec eux psaumes et litanies , tandis que dans le quartier grec, près de la vieille diaconie Sainte-Marie in Cosmedin , les chars de blés débarqués du Tibre tout proche lui rappelleront la Rome secourable du Moyen âge.
Enfin l’Isola Tiberina présente au pèlerin ce vaisseau infatigable au flot des siècles et des guerres qu’est l’hôpital des Frères de Saint-Jean de Dieu : prototype achevé et résumé quotidien de la Rome charitable.
Et si vous voulez un monument moins antique, venez visiter cette curieuse gare de la Cité du Vatican : bâtie pour la réception solennelle d’illustres visiteurs, elle n’a encore jamais réalisé sa destination : son salon d’honneur est devenu un quai de marchandises sans cesse blanchi par les sacs de farine. Ici s’exerce la charité pontificale « Liberavit a periculo famis civitatum romanam ». Ce rôle que le « Liber Pontificalis » soulignait à la fin du Véme siècle chez le Pape Gélase est devenu une tradition : l’histoire dira à quel point et combien de fois, Sa Sainteté Pie XII, en des heures récentes, a littéralement nourri le troupeau confié à l’Evêque de cette Rome, Capitale de la Charité.
Voila pourquoi vous ferez un geste d’Église le 16 novembre prochain. C’est le dimanche du Secours Catholique. On vous invite à prier pour les prisonniers, pour les malades pour la propagande de la charité chez tous les fidèles. On vous invite à donner les réalisations des 365 jours de l’année dépendent de ce que nous recevons ce jour là. Cette double quête, de prières et d’argent, le souvenir des Papes la replace dans le cadre de l’Église. Quel réconfort !
Mgr Jean RODHAIN.