La révélation de la charité
Jean RODHAIN, « La révélation de la charité », La Croix, 7 novembre 1959.
La révélation de la charité
« Si un frère ou une sœur sont dans la nudité et n'ont pas ce qui leur est nécessaire chaque jour de nourriture et que l'un de vous leur dise: « allez en paix, chauffez-vous et vous rassasiez » sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ? Il en est de même de la foi : si elle n'a pas les œuvres, elle est MORTE. » Jacques II,15.
• Le frère dans la nudité, c'est celui du camp des regroupés dans l'Aurès.
• La sœur sans nourriture, c'est la réfugiée arrivant de Berlin-Est.
• Le frère nu, c'est le sinistré de Madagascar.
• La sœur sans le strict nécessaire, c'est la petite vieille du 4ème gauche, qui ne demande rien.
• Le frère sans vêtement, c'est ce comptable chômeur qui fait la queue à la porte du vestiaire paroissial : il n'est pas nu, certes, mais il sait d'expérience qu'on ne l'embauchera pas tant qu'il portera ce veston rapiécé.
• La sœur sans pain est partout : sur votre chemin et dans le métro. Elle est assise à votre propre table. Inlassablement elle vous regarde le jour. Et la nuit, quand vous ne dormez pas, elle vous regarde encore avec ses grands yeux vides.
Cette sœur sans pain, elle a un nom : c'est votre foi. Si elle n'a pas dans ses mains le pain de vos œuvres, elle est morte. Saint Jacques l'avait dit.
Voilà, me direz-vous, la Révélation de la Charité. Non pas : ce n'est que la révélation de la Misère. C'est déjà une lumière. Ce riche de l'Évangile avait la foi, mais n’avait pas cette clarté-là. Car il n'avait jamais vu, sous son escalier, ce pauvre Lazare, et tout simplement parce qu'il ne l'avait jamais regardé.
La révélation de la misère est la première découverte de la Charité. Mais ce n'est point la seule.
Ouvrez un chantier de Charité, et vous verrez surgir aussitôt des collaborateurs inattendus.
Entreprenez une quelconque collecte de charbon, ou une Cité-Secours, ou une Campagne des vieillards, et vous verrez se présenter des bonnes volontés candidates au travail. Ils et elles ne viennent pas toujours de "la Paroisse". Ils sont souvent inattendus. Ce sont des gens qui passaient jusqu'ici pour éloignés, ou hostiles, ou fermés, ou simplement secrets.
Elle existait en leur cœur cette charité pour le frère, mais endormie et ankylosée. Il y avait, caché, déposé par le Divin Moissonneur ce grain qui est déjà une grâce et qui n'attendait pour germer que le rayon de soleil de l'occasion : cette autre grâce ...
C'est le cortège de ceux qui arrivent toujours, depuis vingt siècles, des rivages de Tibériade et des chemins de Galilée, pour venir enfin, radieux, vous avouer : "Personne jusqu'ici, personne ne nous avait jamais embauchés".
Au fond pour tous les responsables d'un travail de Charité, une des plus vraies joies, c'est de rencontrer ce cortège-là dès que vous ouvrez un chantier de Charité.
Le Secours Catholique en face des misères de 1945 a peut-être commencé par n'être qu'une vaste épicerie : j'en conviens maintenant sans rougir.
Seulement, à côté des spécialistes de l'apostolat, on a vu surgir ceux qu'on attendait pas et qui n'avaient peut-être qu'une vocation quasi diaconale. Ca s'était déjà vu dans les débuts de l'Église, et ça ne lui avait pas si mal réussi.
La découverte de ces milliers de disponibles a conduit cette épicerie primitive vers un travail de pédagogie : la réhabilitation de la charité et des œuvres de charité indispensables à l'Église.
Et cette Journée Nationale du Dimanche 15 Novembre, si elle est une Journée de quête, devient peu à peu aussi autre chose en plus : c'est la communauté paroissiale tout entière regardant la misère proche et lointaine et priant pour que soit révélée la véritable Charité.
Car le chemin qui passe par le frère conduit parfois jusqu'à Celui qui marche près de lui, si doucement qu'on ne l'entend même pas. Et c'est finalement la véritable révélation de la vraie Charité.
Jean RODHAIN
Secrétaire Général du SECOURS CATHOLIQUE