La grande invention de M. Vincent
« La grande invention de M. Vincent », dans Monsieur Vincent, Visages de la charité, Paris, Bonne Presse, 1960 p. 1.
La grande invention de M. Vincent
Lorsque Monsieur Vincent, curé de Châtillon, révèle en chaire à ses paroissiens la misère d’un fermier pitoyable, il est frappé en retour par une autre révélation : le soir même il découvre à sa grande surprise le cortège incessant de ses paroissiens portant des secours au fermier. Il mettra d’ailleurs bon ordre à cet accès subit de fagots et de bouillons, et dès le lendemain proposera un comité permanent de secours parois¬sial.
Ce fut pour Monsieur Vincent, au début de son sacerdoce, une révélation. Elle le marquera pour toujours : il sait désor¬mais qu’il existe, caché chez la plus secrète des dames de la cour, chez le plus retors des ministres, ce grain déposé en leur coeur par le Divin Moissonneur, ce grain de charité endormie, et qui n’attendait que le rayon de soleil d’une provocation.
Monsieur Vincent provoquera et c’est là un de ses secrets il provoquera les occasions et les gens.
Il ouvre un chantier de charité, et il voit surgir aussitôt des collaborateurs inattendus. Mais lui les attendait. Il y croit.
Ils ne viennent pas toujours de la « Paroisse ». Ce sont des gens jusqu’ici éloignés, ou fermés, ou hostiles.
C’est le cortège qui sort des rivages de Tibériade et des chemins de Galilée, pour venir, enfin, radieux, vous avouer :
« Personne, jusqu’ici, personne ne nous avait jamais embauchés. » Monsieur Vincent a découvert la misère ? Non.
Monsieur Vincent a découvert les Pauvres du Christ ? Non.
Il a découvert les réactions « en chaine » que déclenche ce minuscule minerai inexploité avant lui et qui n’est autre que l’atomique Charité...
Il n’a révélé au monde les « Pauvres du Christ » que parce qu’il avait découvert le Christ des Pauvres.
Jean Rodhain
Aumônier général du Secours Catholique