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On ne sait jamais qui c’est

09 décembre 2013
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Jean RODHAIN, « On ne sait jamais qui c'est… », Messages du Secours Catholique, n° 94, janvier 1960, p. 2.

On ne sait jamais qui c’est…

Enfant, j’ai comme tous les enfants, été tellement scandalisé par ce geste de l’hôtelier méchant, claquant la porte à ce Joseph sans argent, contraignant Marie à échouer dans cette étable en plein vent, et perdant pour lui ce privilège inouï d’être le bon hôtelier accueillant de l’Incarnation.

Pour cet homme et sa famille, quelle grâce de garder chez lui Jésus en ces premiers jours et de le servir lui-même ! Et pour ce Juif hôtelier, quel bénéfice, quelle réclame éternellement assurée pouvoir visiter la chambre N° 23 (au 2éme étage, au bout du couloir à droite, prenez garde à l’escalier usé, Messieurs Dames, et n’oubliez pas le guide s’il vous plait !) Ça c’est l’inscription définitive de l’hôtel au Guide Michelin avec 5 étoiles : « en cet hôtel de la Gare et de la Nativité réunies, le Christ est né à Noël, grâce à l’accueil parfait toujours réservé à la clientèle de passage ».

Au lieu de cette réussite triomphale, voici pour l’éternité, l’hôtelier de Bethléem cloué au pilori dans tous les catéchismes et dans tous les sermons. Il s’est définitivement classé comme ce pauvre Ponce Pilate : « a souffert sous Ponce Pilate ». Ça restera dans le Credo pour toujours. Encore ce pauvre Ponce Pilate, il avait eu le temps de réfléchir et de délibérer et de consulter. Mais ce pauvre diable d’aubergiste !

Je sais bien que ceci n’est pas l’essentiel. Noël c’est avant tout le verbe fait chair, l’accomplissement de la Promesse, le premier signe perceptible à l’homme du Dieu venant, par la Croix, le racheter et il n’y a qu’à tomber à genoux et à adorer un mystère qui dépasse tant toutes les dates de l’Histoire que l’Histoire datera tout de cette nuit là : l’an 1960 après la naissance de Jésus-Christ. Oui, je le sais.
Mais les détails restent, l’Évangile a parlé de l’hôtellerie sans place, et mon hôtelier m’intrigue et je m’entête à m’intéresser à lui ...

Depuis que j’ai quitté les bancs du Catéchisme, on m’a donné des détails que l’on m’avait caché. Il parait que cette hôtellerie ne serait qu’une auberge, ou même un caravansérail. On n’est pas sûr. En tout cas, ce qui est sur - parole d’Évangile !-c’est « qu’il n’y avait pas de place pour eux ». Pourquoi pas de place ? Cet hôtelier était-il foncièrement méchant comme ce chien roux tirant sa chaîne avec rage et aboyant devant ce couple pauvrement vêtu ? Cet hôtelier était-il prudent jusqu’à se méfier de la solvabilité de ce Joseph sans bagages ni valises. Cet hôtelier était-il seulement le fin bec réputé pour ses fourneaux et dont le foie supportant mal ses sauces béchamels, avait ce soir là, rendu son accueil un peu plus expéditif ? Cet hôtelier était-il finalement, tout bonnement, ce professionnel parfaitement consciencieux dont les chambres étaient toutes occupées (c’était l’époque du recensement ordonné par César Auguste et tous les natifs de la ville arrivaient se faire inscrire avant la clôture des listes). L’hôtel affichait complet. A Jérusalem, ville de pèlerinages, il y avait des hôteliers douteux qui, dans ce cas, n’hésitaient pas à bourrer et à entasser les pèlerins à 3 par chambre et à 2 par lit étroit. N’oublions pas qu’il s’agit d’une époque dont notre civilisation actuelle a du mal à se représenter les coutumes frustes. Mais à Bethléem, cet hôtel tenait à sa réputation, et pourquoi ne pas être - pour une fois, en l’honneur de Noël - charitable envers le prochain, et tout bonnement supposer que cet hôtelier ait dit fort correctement à Marie et Joseph : « Monsieur, je regrette vivement, et particulièrement pour vous Madame, que mon hôtel actuellement complet ne puisse vous accueillir. Veuillez nous excuser car nos clients avaient depuis longtemps retenu leurs chambres par courrier. Je puis vous indiquer pour ce soir une annexe de la maison qui n’est pas une écurie mais une grotte bien abritée. Et si vous le voulez, nous aurons une belle chambre libre après-demain et je puis, dès maintenant, Madame, vous la retenir. »

Et sur ce, guidé par le concierge galonné du Grand Hôtel de Bethléem, Marie et Joseph s’en furent vers le lieu prévu par la Trinité depuis l’éternité : « car il n’y avait pas de place dans l’hôtellerie » (Luc 1,7)

Est-ce possible ? Je n’en sais rien. Mais ça a l’avantage, sinon de me faire méditer sur la Trinité, tout au moins de me faire faire à moi (non à vous) mon examen de conscience : suis-je un hôtelier énervé ou accueillant ? hargneux ou correct ? nonchalant ou prévenant ? Car ce client qui se présente dans la nuit, après le coup manqué de Joseph et Marie, on ne sait jamais qui c’est, au juste ...

On ne sait jamais qui c’est.

Ainsi cette affiche que voici en première page de « Messages » représente un enfant avec son verre de lait. Quel enfant ?

Lisez donc : l’affiche parle des enfants d’Algérie qui ont besoin de lait. Pour certains, c’est une question de vie ou de mort.

Et cette affiche était à peine posée qu’un Monsieur ayant autorité (ne me faites pas dire qui, ni de quelle profession) me téléphone suavement : « Votre affiche est bien présentée, mais la photo de l’enfant vient d’où ? »

J’ignorais où le photographe avait opéré, probablement dans un camp.
« Dans un camp de réfugiés ? Vérifiez donc » continue la voix passant du suave au doucereux. « Je suis un vieux colonial, votre enfant de l’affiche n’a pas le type berbère, ni kabyle. vérifiez, vérifiez. »

J’ai convoqué l’imprimeur, le metteur en page. On a retrouvé le cliché, et puis l’original, et puis la fiche de la photo : mon correspondant avait raison, nous avons été trompés, l’agence photographique nous a fourni - par erreur - une vue prise dans un camp de réfugiés Arabes de Palestine. Ce n’est pas un Algérien. C’est une catastrophe.

Pas catastrophe du tout. Cette erreur (car il y a erreur, je le reconnais) nous présente un enfant avec ce verre de lait dont il a besoin. Cet enfant est un musulman - comme ceux des camps d’Oranie, du Constantinois ou de l’Algérois. Cet enfant a été photographié dans un camp de regroupés près de Jéricho. C’est à deux pas (à trois Kilomètres exactement) de Bethléem.

Ce réfugié de Bethléem, parlant pour ceux d’Algérie, a un sens. Cette erreur me ramène - pour Noël - tout bonnement la naïve et terrible question de mon enfance : Qu’est-ce que je ferais si j’étais l’hôtelier de Bethléem ?

Mgr Jean RODHAIN.

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