Un curieux livre
Jean RODHAIN, « Un curieux livre », Messages du Secours Catholique, n° 100, juillet-août 1960, p. 4.
Un curieux livre
J’arrive à Volos après le tremblement de terre de Céphalonie qui a dévasté toute une province grecque. Le bon Curé de Volos devine que je meurs d’envie d’aller en pèlerinage à Philippes de Macédoine. En un clin d’œil, il est au volant de sa vénérable voiture et nous voici partis vers l’antique communauté chrétienne des Philippiens. La plaine s’élargit. Voici le champ de bataille où les armées romaines écrasèrent les cavaliers de Brutus. Et au loin les ruines. Des cahots très brusques : la route n’est pas plus mauvaise, mais c’est tout simplement le bon curé qui en conduisant d’un doigt, feuillette avec son autre main un antiphonaire, et entonne subitement les antiennes du Vendredi Saint : « Christus factus est obediens, obediens usque ad mortem crucis... ».
C’est vrai, je n’y avais pas pensé, ces textes de saint Paul, c’est aux Philippiens qu’il les a adressés. Nous arrivons sur la paroisse même de l’Epître aux Philippiens. Voici la maison de Lydie, la marchande de pourpre, qui hébergea Paul (Actes XVI, 14). Voici la Prison où Paul et Silas chantaient si fort leur psalmodie que tous les prisonniers étaient à l’écoute (Actes XVI, 25). Et, dans les ruines de la prison, voici ouvertes par le miraculeux tremblement de terre, la brèche par où Paul sortit triomphant (XVI, 27). Cette brèche, bien, trop bien entretenue, est-elle authentique, je ne sais. En tout cas, voici avec ses dalles immenses et intactes, la « Voie Ignatienne » qui part vers Athènes. On n’invente pas une fausse voie romaine. Ces pierres sont authentiques sur des centaines de kilomètres. Paul a cheminé indiscutablement sur cette voie, exactement sur ces dalles en quittant Philippes pour le Sud. Cette voie est romaine et finalement, les routes du Seigneur conduiront ce Paul à Rome suivant l’ordre du Seigneur lui-même : « Il faut aussi que tu rendes témoignage dans Rome. » (Actes XXII, 11). Pourquoi Rome ?
Ce petit groupe de pèlerins a voulut méditer au Colisée pour la veillée de Noël. Et ensuite, nous gagnons à pied le Vatican pour la messe de Minuit à Saint-Pierre. Nous quittons l’avenue des Forums impériaux, striée de bruits, pour cheminer dans le Forum même, le long de la Basilique de Maxence : encore une voie romaine, c’est la Via Sacra qui conduit au Capitole, mais en côtoyant cette prison Mamertine où Pierre et Paul furent captifs. Nous marchons en silence et voici que le plus jeune des pèlerins interroge :
A notre gauche, ces ruines sur une terrasse à demi-boisée, qu’est-ce que c’est ?
C’est le Palatin, demeure des Empereurs Romains.
Alors César Auguste habitait-là ?
Bien sûr.
Alors, ce recensement dont parle l’Évangile de cette nuit (Luc, II) c’est ici que César Auguste l’a signé ?
Admirable lumière des enfants. Cent fois, J’avais contemplé ce palatin et jamais je n’y avais reconnu le lieu où tout fut déclenché : l’Incarnation et la Rédemption. Cent fois j’avais expliqué le Forum avec le meurtre de César, les rostres avec la tribune de Cicéron. Jamais je n’avais découvert cette relique de Noël. Ici, de par la volonté du Tout Puissant, César Auguste signe le recensement qui se réalise en Orient pendant que Quirinus était gouverneur de Syrie. Voici Joseph obligé de quitter Nazareth. Voici Marie se rendant avec lui à Bethléem, pour se faire inscrire, par ordre de César Auguste. Dans la localisation de Noël il n’y aurait pas eu Bethléem ni la crèche si l’Empereur romain n’avait pas signé, ici, dans son Palatin. Le Palatin est lié à Noël. Ce palais romain est un des premiers instruments de la Nativité telle qu’elle s’est accomplie. Rome est une clef de l’Évangile.
Je regarde maintenant cette prison romaine : la Mamertine. Pierre et Paul sont liés à Rome. Même si leur séjour commun dans ce cachot n’est pas prouvé, il y a un enchaînement secret qui les lie dans cette Ville Eternelle, ensemble. ils seront tous deux martyrs au même lieu, à deux pas de ce palais romain où l’histoire de l’Église a commencé par un acte administratif précis et exact comme tout acte romain.
Imaginons un instant que le grand conflit de Paul et de Pierre ne fut pas résolu au Concile premier de Jérusalem (Actes XVI, 30). Imaginons d’une part, Pierre entêté dans les conditions judaïsantes imposées aux païens avant le baptême et, d’autre part, Paul partant isolément vers l’apostolat des païens et leur ouvrant lui-même, sans conditions, les portes de l’Eglise. Voici dès la première page des Actes Apostoliques un schisme. Et quel schisme ! Voici l’Église coupée en deux au lendemain de la Pentecôte. Voici l’unité à jamais déchirée par deux chefs incomparables.
Pierre et Paul sont conduits a Rome, liés à Rome, martyrs à Rome.
Et à chaque fête de Pierre, la liturgie impose au prêtres d’ajouter l’oraison de Paul. Et inversement. Ils sont liés. Deo Gratias.
Le pèlerin s’étonne au Vatican des tombeaux somptueux des Souverains Pontifes. Un quart d’heure après, le même pèlerin s’étonnera de même de la rareté de ces monuments, car, enfin, les trois quarts des papes sont absents de cette courte nécropole.
Je demande à ce pèlerin de courte science de prendre un crayon, et de noter, pour classer un peu les Souverains Pontifes d’après l’histoire.
Combien y- a-t-il eu de papes dont le règne n’a pas dépassé quinze mois ? Il y en a eu 54.
Combien dont les historiens ne savent absolument rien ? Une quinzaine.
Combien sont morts en exil ou en prison ? 11.
Combien martyrs certains ? 4.
Combien ont succombé de mort violente ? 8.
Combien ont été canonisés ? 51.
Combien ont été indiscutablement mal famés ? 13.
Combien ont été aux prises avec un antipape ? 27.
Combien ont été en lutte avec une hérésie ou un schisme ? A peu près tous.
Mon pèlerin, interloqué, regarde les chiffres, ne sait pas les mettre en équation et m’interroge : « Où voulez-vous en venir ? »
A ceci : comptez maintenant combien il reste de Papes qui ont eu un règne « paisible ». Comptez… Comptez.
Pour l’historien - ou pour le dévot aux Apôtres Pierre et Paul - la fresque de tous les Papes est une aventure tumultueuse.
C’est l’exact agrandissement photographique du premier cliché : le coq qui chante trois fois, les apôtres endormis, la tempête apaisée, la guérison du boiteux, la Pentecôte, la. création des diacres.
Vous voulez une Histoire de l’Église, et, ne disposant que de peu d’argent, il vous faut une synthèse… Vous voulez qu’en même temps, je vous indique en secret le meilleur livre, le plus vrai, le plus exact, le plus court sur Pierre et Paul, alors je vous dis : achetez les Actes des Apôtres. Vingt-huit chapitres de trente versets en moyenne. Tout y est : hérésies, trahisons, scandales, miracles, coups de théâtre, prisons, jugements, martyre. C’est un raccourci passionnant.
Et, entre nous, c’est à ce jour le seul manuel d’Histoire de l’Église dont tous les fidèles sont obligés de croire, par définition du Concile de Trente, qu’il est « inspiré par le Saint-Esprit ».
Lisez les Actes des Apôtres, ce secteur si peu connu du Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Mgr Jean RODHAIN