Vers le pain partagé
Jean RODHAIN, « Vers le pain partagé », La Croix, 4 août 1960.[1]
Vers le pain partagé
Nous regardions le dôme de Saint-Pierre régner, impassible, sur cet incendie des nuages dont Rome semble avoir le secret à l'heure où le soleil s'engloutit sous la colline du Vatican.
Nous regardions cet incendie depuis le belvédère du 15e étage de la F.A.O. à la jointure de l'Aventin et du Palatin. Voici dix ans déjà que l'O.N.U. a installé ici dans un gigantesque building son bras séculier au service de la faim dans le monde. Et récemment S. S. Jean XXIII reconnaissait en cette institution internationale « une forme moderne des œuvres de miséricorde ».
Mais nous n'étions pas venus pour le spectacle d'un crépuscule romain et romantique. Nous étions venus écouter le Docteur R.B. Sen, président de la F.A.O. parler aux Présidents des Secours Catholiques Nationaux du monde entier. Une fine silhouette de lettré indien. Une voix grave où chaque mot était soigneusement préparé et pesé. Cette voix expliquait combien la F.A.O. est plus une éducatrice qu'une distributrice. Elle appelait au secours les organismes privés afin qu'ils éveillent les hommes à une charité intelligente : sinon la F.A.O. labourerait les nuages.
Et comme le président de la F.A.O. évoquait la collecte exemplaire des diocèses allemands pour la faim dans le monde, chacun regardait vers Munich. Ce Congrès Eucharistique, avant même de commencer, avait déjà marqué une dominante. En plus de l'adoration, en plus de la prière, les organisateurs ont voulu préparer les participants à participer au partage.
S'agissait-il d'une réclame en faveur des organisations privées de Secours ? Certes pas. L'horizon était bien plus vaste.
Munich veut être le témoignage d'une vie de charité qui tire sa force de l'Eucharistie. Le Seigneur en a témoigné en liant le Mandatum et la Cène. Le même Jeudi saint a réuni l'acte exemplaire du lavement des pieds à l'institution de l'Eucharistie. « Je vous ai donné l'exemple afin que vous fassiez vous-même ce que je viens de faire ». Alors Il institua l'Eucharistie, et liant l'une et l'autre chose, Il nous dit : « Faites ceci en mémoire de moi ». Et c'est bien ainsi que l'Église primitive l'avait compris : le Christ, c'est le Pain, mais le Pain partagé.
Le Souverain Pontife Pie X a remis en honneur l'Eucharistie. La Messe et la liturgie ont refleuri. Il reste à en épanouir le fruit : la Charité. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort (St Jean).
Le Congrès Eucharistique de Munich veut exposer l'étroite appartenance de l'Eucharistie et de la Charité.
L'Eucharistie est l'unique source vive capable de nourrir l'action de l'Église à travers le monde : « J'ai pitié de cette foule ».
Et le slogan de ce Congrès a été choisi dans un texte du Cardinal Faulhaber : « Un jour de communion sans acte de Charité est une communion sans action de grâces ».
Pie X n'a pas inventé l'Eucharistie. Mais il a remis en honneur et remis en pratique la communion eucharistique ensevelie sous la dalle du jansénisme.
Le chrétien nourri de l'Eucharistie doit s'épanouir en Charité. Il y a un jansénisme de la Charité qui ankylose, qui paralyse, avec d'éloquents arguments, la notion de charité et qui déprécie les activités charitables.
Jean XXIII visitant, au lendemain de son sacre, les prisons romaines et les hôpitaux, a réalisé un geste symbolique. Après l’Eucharistie, voici la charité, cette corde endormie dans la harpe de l’Église, qui recommence à vibrer. Munich est le signal de la réhabilitation de la charité de l’Église : rajeunie, adaptée, vivifiée, mais charité d’abord.
Quinze étages de bureaux nous séparent du sol romain au lieu même du cirque Maxime où les chrétiens tombèrent plus qu'au Colisée. Quinze étages d'administration tissant des Indes au Chili et de Ghana à l'Equateur un travail quasi « diaconal » d'enseignement au Service des pauvres sans pain, sans blé, et sans riz.
Et tandis que meurt le dernier éclat du couchant, son dernier rayon s'arrête un instant sur le relief de Coelius, au pied même de la F.A.O. La façade éclairée en finale est celle d'une minuscule église. C'est Saint Grégoire. Et dans l'atrium, il y a, nous le savons, nous le devinons dans le jour qui meurt, la relique de ce pape : la table de pierre où Grégoire le Grand venait partager le repas des pauvres du Christ, ses invités quotidiens.
A l'heure de la faim dans le monde, le jansénisme de la Charité commence à s'effriter. Le Congrès de Munich traduira la pensée de Pie X : le peuple qui a réappris la communion fréquente se met à pratiquer une Charité nouvelle.
Mgr Jean RODHAIN
[1] Réédité dans TAFDM, pp.159-161. (note de l’éditeur)