Chrétien dans le monde
Jean RODHAIN, « L'accueil à l'exode », Vie chrétienne, octobre 1962, p. 9-10.
L’accueil à l'exode
Dans certaines églises, récemment construites, on a quelquefois cherché à modifier le tabernacle traditionnel. On y a envisagé les solutions les plus bizarres, depuis le lanterneau construit près du cierge pascal jusqu'au tiroir-caisse si bien encastré dans l'autel qu'il n'était plus perceptible des fidèles.
Rome a remis de l'ordre dans cette fantaisie. Rome a rappelé que le tabernacle doit être normalement signalé par un conopé en forme de « tente » (tabernaculum), afin que les fidèles se souviennent que sur terre nous sommes, « in via », en passage, en transit, en route, vers un au-delà.
Cette condition de voyageur était rappelée aux chrétiens par tous les Pères de l'Église. De Saint Cyprien à Saint Augustin, ils reviennent sans cesse dans leur prédication sur notre situation d'exode perpétuel. Le chrétien plante sa tente et il doit sans cesse être disponible pour la replier. C'est un nomade qui ne doit s'attacher à rien afin de suivre sa route vers Dieu. C'est un exilé cherchant son chemin vers l'éternité, et pour mieux le chercher il ne doit s'attacher à aucune demeure terrestre. Etre prêt à tout quitter, à tout laisser.
Ce langage des Pères, dira-t-on, n'est plus de saison. Les gens ne sont pas des nomades. L'image de la tente précaire ne leur parle plus. L'idée même d'exode est périmée.
Or, voici que sur nos paroisses déferle l'exode de 600 000 déracinés...
Au fait, y avais-je pensé?
J'ai du mal à me représenter Abraham et Jacob ne possédant pas de maison et vivant pauvrement sous la simple tente du désert. Ma méditation s'essouffle à reconstituer l'exode des juifs. Et mon imagination cherche des images antiques pour illustrer les homélies d'Augustin décrivant la vie chrétienne comme le détachement de l'homme chassé de sa propre maison.
Et pendant ce temps-là, à ma porte, je ne sais reconnaître ces réfugiés de 1962 en exode, ces familles chassées de leur maison, de leur champ, de leurs terres, et arrivant ici dépouillées de tout.
Oui ou non, ai-je la foi ?
Ma spiritualité est-elle nourrie de France-Soir ou bien de la Bible ?
Est-ce que, devant cet exode de ceux qui sont plus dénués que des nomades, j'ai réalisé ce que je ressentirais, moi, si, dans l'heure qui suit celle où je lis ces lignes, je devais avec une seule valise quitter mon appartement, mes immeubles et mon quartier, ma paroisse et mes amis, mon commerce et mes clients et partir au delà de la mer pour refaire une autre vie ?
Est-ce que devant ces gens qui arrivent d'Algérie j'ai reconnu l'humanité en route, en transit, en exode, me rappelant ma propre condition de voyageur ?
Est-ce que ces frères en humanité et en exode, je les ai regardés avec le recul de l'Ancien Testament et avec la chaleur du Nouveau ?
Ou bien me suis-je contenté de rabâcher les clichés de mon journal et de ma voisine sur l'O. A. S., les pieds noirs, le F. L. N. et la politique de celui qui a voté autrement que moi.
Il faut bâtir des logements pour les réfugiés.
Il faut créer de nouveaux chantiers de jeunesse pour les jeunes réfugiés.
Il faut trouver des emplois.
Il faut aussi que les chrétiens s’arrêtent un quart d'heure dans leur action et dans leur agitation, pour ouvrir la Bible et y découvrir que cet exode, ce détachement, ce dépouillement, c'est finalement notre condition commune.
Alors l'accueil aux réfugiés sera prêt d'être résolu.
Jean RODHAIN,
Secrétaire général du Secours Catholique.