Le concile et nous
Jean RODHAIN, « Le Concile et nous », Messages du Secours Catholique, n° 123, octobre 1962, p. 5.
Le concile et nous
Chacun de nous regarde ce Concile à sa manière et avec ses lunettes à lui.
L'historien
considère que le dernier Concile, Vatican I, interrompu par la guerre de 1870, n'a été que le portique grandiose d'un monument inachevé. Quant à l'avant-dernier Concile, il a très mal commencé. Le jour de son ouverture solennelle, il y avait en tout et pour tout cinq évêques exacts à la convocation. Il a fallu changer de date, puis de ville, puis négocier pendant huit ans, pour enfin réunir péniblement 29 évêques présents. Cet avant-dernier Concile dura 18 années et resta célèbre par son efficacité : on l'appelle le Concile de Trente. Mais ses débuts reflètent le désordre de l'Église au XVI° siècle. Quelle différence avec l'exactitude actuelle des 2.320 évêques présents ce 11 octobre 1962 au Concile Vatican II.
Le géographe
dessine sur une mappemonde les zones de recrutement des Pères pour chacun des Conciles précédents. Les dix-huit premiers Conciles ne réunissent que des évêques provenant du bassin méditerranéen. Une seule fois, l’Amérique est présente. c'est au dernier Concile 1869, et cela fait sensation.
Cette fois-ci, l'Europe a perdu son monopole. Les évêques européens, malgré la masse de l'épiscopat italien, ne formeront plus que 35% de l'Assemblée enfin internationale réunie à Saint-Pierre-de-Rome.
Le mathématicien
conteste la cartographie du géographe. Il remarque que sa mappemonde, avec ses multicolores marques d’origine comporte un blanc. Ce blanc est immense, toute la Russie et toute la Chine, totalisant les deux nations les plus peuplées du monde. Or, combien d'évêques catholiques, chinois ou russes, arriveront de Chine ou de Russie à Rome, ce 11 octobre 1962 ? Pas un seul. Les catholiques romains des deux nations géantes ne seront pas représentés au Concile par un seul de leurs évêques en exercice. Cela ferait un vide immense dans les tribunes si les sièges préparés étaient proportionnels à la population de chaque continent. Cela ferait un vide qui rappellerait à tous cet échec apparent et cette douleur d'une Église du silence, présente certes, mais d'une autre manière, à Rome.
L’économiste
calcule tandis que se déroule le cortège somptueux des cardinaux et des évêques. Contemplant l'uniformité des mitres toutes blanches, il songe à ses statistiques. Sur chaque mitre, il est tenté de marquer le nombre de calories du diocèse représenté. Laissant au curieux la joie de repérer les évêques de couleur, il reconnaît dans l'Africain tel pays de la faim. Dans l’évêque du Pérou, il verra la misère de son peuple sans travail. Autour de l'évêque missionnaire, il devinera les diocésains sans pain et sans toit. « Misereor super turbam... » « L'Église est l'Église des pauvres » vient de rappeler jean XXIII, justement à propos de ce Concile d'aujourd'hui.
Le savant atomiste
s'inquiète de ce défilé anachronique et de ces latines éloquences. Son laboratoire lui a révélé avec évidence que, depuis trente ans, la science humaine connaît désormais dans l'atome comme dans la stratosphère, des secrets insoupçonnés depuis Adam et Eve. Ces secrets exploités feront que son propre fils, son enfant, travaillera demain avec des outils nouveaux, utilisera des forces fantastiques, et risque de connaître après-demain des mondes insoupçonnés.
Alors, l'atomiste se tourne vers le Concile et se demande ce qu'apportera demain cette assemblée à son fils qui gambade encore sur la place. Jusqu’ici, il voyait dans un Concile un rassemblement de super-sacristains. Ayant lu Teilhard de Chardin, il se met à espérer que, parmi ces clercs bariolés, il y aura aussi quelques prophètes. Son immense et légitime confiance dans l'homme créé « à l’image de Dieu » lui fait croire que, dans les laboratoires et dans les spountniks se cachent des reflets d'une grâce prévenante, et que tant de créations atomiques n’attendent qu'un moderne Pascal pour être baptisés. Au lieu d'un Concile qui anathématise, il fait partie de ceux qui espèrent un Concile qui baptiserait nos modernes Galilée.
Le militant
On a discuté du Concile dans ma paroisse. On a même envoyé une motion à l'Evêché. On se rend bien compte que les décisions prises à Rome touchent à nos problèmes de vie, depuis la vie conjugale jusqu'à la justice sociale. Mais, entre nous, on a un peu trop parlé contre le latin et pour la suppression des chorales. C'est des détails. Par contre, dans le quartier, les problèmes des rencontres avec les protestants ont très bien accroché à propos de l'œcuménisme.
Et, ce soir, je tombe sur une phrase d'un pasteur protestant désigné comme observateur du Concile Vatican II.
« Entre Rome et les Eglises de la Réforme, au-delà des différences de sensibilité et des formes de spiritualité ou de piété, ce sont des questions de foi et de vérité qui demeurent posées. Cela, tous les vrais « oecuménistes » le savent et c'est pour cela qu'il y a et doit y avoir dialogue, et que ce dialogue est « combat de la foi ». Or, dans ce combat, il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais qu'un seul vainqueur, Jésus-Christ, Seigneur universel des croyants qui entendent et reçoivent sa Parole, attendent et reçoivent de Lui leur unité. »
Et il ajoute, parlant des protestants « Ils peuvent aussi et doivent prier pour le Concile, sans hypocrisie, se souvenant que « prier pour » quelqu'un, c'est le placer dans la dépendance et sous la seule grâce du Dieu de Jésus-Christ. »[1]
Prier
Prier pour le Concile. Journal du soir et photographes de la télévision vont nous servir abondamment les détails pittoresques des coulisses du Concile. Il y aura la syncope de la vedette à qui on refusait l'entrée à Saint-Pierre. Il y aura le reporter américain déguisé en évêque et dont la fausse barbe se détache au moment du Veni Creator. Il y aura la panne de micro, à l'instant solennel de la votation. Evidemment.
Mais, un Concile, ce n'est pas l'O.N.U. Et ce n'est pas non plus un quelconque référendum. C'est l'Église de Jésus-Christ assemblée comme au Cénacle où les Apôtres de Jésus-Christ étaient réunis pour le Premier Concile de Jérusalem. A cette heure-là, disent les Actes des Apôtres, il y avait famine et les chrétientés lointaines de Corinthe et d'Éphèse collectaient pour la faim de Jérusalem. L'histoire des Conciles commence déjà par une famine et un partage.
Ce Concile est d'actualité. Et pour moi, chrétien catholique romain, il est d'actualité de se mettre en prière.
Mgr Jean RODHAIN.
(Extrait de Croix-dimanche, 7-10-1962)
[1] Article : Pourquoi des observateurs au Concile / Pasteur Hébert Roux in MSC N°123 p.5.