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La joie ne vient qu’ensuite

24 août 2017
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Jean RODHAIN, « La joie ne vient qu'ensuite », La Croix, avril 1963.[1]

La joie ne vient qu’ensuite

« Elles étaient saisies d'effroi » (Luc 24,5)

Vacances et liturgie se rejoignent pour savourer les dernières joies des Pâques dépassées.

Or, en les regardant de près, les Évangiles, chez les témoins privilégiés de la Résurrection, ne nous présentent pas comme première impression la joie.

           

            Les gardes sont sur leurs gardes. Derrière eux, un cadavre contrôlé et une pierre roulée : pas de danger. Devant eux, le sentier ; le danger ne peut venir que de ce côté ; les comploteurs arriveront par ici pour l'enlever. Par ici, fatalement. Il faut prendre garde de ce côté-là. C'est la consigne : tout est prévu.

Et c'est l'imprévu qui arrive. C'est l'inattendu qui surgit en arrière. Le tombeau qui s'ouvre. Lumière. Tremblement. Frayeur.

Les saintes femmes sont dans le deuil : tout est fini. Il ne reste plus que la fidélité des éplorées. Silence de mort. Aromates préparées pour la mort. La pierre sera lourde à déplacer. Solitude de catacombe.

Et c'est l'imprévu qui arrive. L'ange inattendu qui surgit. La pierre est déjà roulée. Lumière. Frayeur.

Dans les deux cas, pour les femmes comme pour les soldats, la frayeur provient d'une rencontre de l'invisible au-delà du visible, d'un basculement du perceptible à l'imperceptible, d'un contact du surnaturel. « A sa vue, les soldats terrifiés tremblèrent et devinrent plus morts que vifs. » C'est la porte brusquement ouverte sur l'autre monde. C'est le déclic de la trappe qui s'ouvre sur une dimension inconnue.

Effroi des humains, de l'un et l'autre sexe, devant le Créateur, devant le Maître de leur vie et de leur mort.

Résurrection, source de joie, dites-vous. C'est vrai finalement. Mais, chronologiquement, dans les récits évangéliques, avant toute joie, il y a eu, à Pâques, d'abord la frayeur.[2]

Alors je pense aux 129 marins sur leurs gardes, dans leur sous-marin, à leurs yeux rivés sur leurs cadrans exacts. En trois secondes, plus de cadran. Tremblement. Lueur. Basculement dans l'invisible. Plus d'acier ni de réacteur, mais, en un clin d'œil : le Seigneur. Face non plus au cadran : face à face avec Lui. Lumière. Frayeur.

Alors je regarde vers cette vingtaine de jeunes femmes à la recherche du chemin du Seigneur, en son pays même. Elles marchent sur la trace de ses pas. Des ruines. Des pierres. Solitude d'une gorge étroite.

Et c'est l'imprévu qui arrive. L'eau inattendue qui surgit, Un clin d'œil. Frayeur. Ce ne sont plus ses pas effacés : sur les flots, marchant comme à Tibériade, c'est bien lui. « C'est moi, ne craignez pas ».

Alors je vois passer enfin ceux qui ne sont ni soldats ni pèlerins, mais qui, en ces mêmes jours, sur les routes de Pâques, tenant leur volant bien en main, avec leur famille gazouillant à l'arrière, au kilomètre le plus attendu, ont trouvé brusquement l'inattendu.

Un clin d'œil. Fracas. Frayeur. Tremblement. Le platane a résisté, mais il disparaît aussitôt. Et c'est alors un autre paysage, inconnu et au-delà de tous kilomètres. Et Celui qui parait-il attendait sur ce chemin, ce chemin qui n'était pas d'Emmaüs.

Je sais une petite chapelle où la messe est célébrée, sans bruit, à chaque catastrophe, par charité, pour ceux qui viennent non pas de disparaître, mais de paraître devant l'au-delà.

Au matin de Pâques, en cette petite chapelle, la messe était dite, à la fois pour les marins du sous-marin, pour les pèlerins de Pétra et pour les victimes des routes pascales.

« Elles étaient saisies d'effroi ».

Rencontre de la liturgie et des vacances.

Nos joies humaines sont si fragiles ! La frayeur de les perdre accompagne l'effroi de découvrir des joies qui ne sont pas humaines. Voyageurs inquiets, comme il est réconfortant pour nous de rencontrer, autour du glorieux tombeau, ces premiers témoins, joyeux certes, mais d'abord si humainement effrayés.

Jean RODHAIN


[1] Réédité dans Jean RODHAIN, Charité à géométrie variable, Paris, SOS / Desclée de Brouwer, 1969, p. 113-116, sous le titre « Frayeurs pascales ».

[2] « A sa vue, les soldats terrifiés tremblèrent et devinrent plus morts que vifs » (Matth. 28,4) - « Elles furent saisies de stupeur » (Marc 16,5) – « Elles s'enfuirent, car elles étaient prises de frayeur et hors d’elles-mêmes. » - « Et elles ne dirent rien à personne, tant elles étaient effrayées » (Marc 16,8) – « Elles étaient saisies d'effroi » (Luc 24,5).

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