Lettre de Priscillinus à une paroisse moderne
Jean RODHAIN, « Lettre de Priscillinus à une paroisse moderne », La France catholique, 6 septembre 1963.[1]
Lettre de Priscillinus à une paroisse moderne
Priscillinus, diacre de l’Église primitive à la Communauté du Secours, salut et bénédiction.
Ayant obtenu du Seigneur la permission de passer récemment quelques heures parmi vos contemporains, et vos délégués m'ayant interrogé je parle : les chrétiens de vos jours ne souffrent plus, certes, de la lèpre, mais semblent atteints d'une fièvre double.
Chez les uns, c’est une véritable frénésie d’apostolat. Ils sont possédés par la conquête des âmes. Ils parlent et écrivent sans cesse sur ses méthodes et ses moyens. Ils passent leurs journées à discuter sur cette conquête plus que les Athéniens de mon temps sur la philosophie.
Chez les autres, cette fièvre prend l’aspect d’une précaution maladive : la peur de perdre l’audience des masses leur fait vouloir sans cesse atténuer l’aspect divin du Seigneur : ils connaissent sa lumière éclatante, mais craignent que le Seigneur ne sache pas s'en servir avec discrétion. Si Paul revenait, certains de vos militants le supplieraient de taire l’apparition du Chemin de Damas de peur de froisser les Corinthiens.
Ces deux genres de malades manifestent leur fébrilité, en de multiples libellés et conférences, et ceci au milieu de pauvres gens semblables exactement aux Gentils de notre premier siècle, et à deux pas d'une masse dite moderne, ayant comme nos païens tout simplement faim de vrai pain (car ils sont des hommes) et soif de vraie lumière (car ils ont une âme).
Nos premiers Chrétiens étaient à la fois plus simples et plus vigoureux. Notre Maître Paul, qui s’y connaissait en apostolat, ne nous parla jamais en ses épîtres de telles précautions fébriles. Il créa des communautés. Il planta des chrétientés. Elles se manifestèrent par leur existence et par leur charité, ce qui est tout un, puisque le Christ est Charité. Les païens regardèrent ces communautés et tantôt ils se convertirent au spectacle de cet amour visible, ou tantôt ils conduisirent nos frères au martyre. Dans l’un et l’autre cas ce témoignage fut efficace pour le règne du Christ et de son Église. Relisez Paul et Jacques l’Ancien, vous n'y trouverez point d'autre méthode.
Gardez-vous donc de ces fièvres compliquées. Fuyez ces inventeurs en spiritualités et ces médecins mysticants. Enracinez votre action sur le dogme mieux connu, non point en feuilletant vos périodiques aux successives méthodes d’apostolat, mais en vous pénétrant des versets substantiels de Paul sur la Charité, et des gestes de nos diacres secourables. Ces versets et ces gestes ont bâti l’Église du premier Credo et des premières catacombes. La méthode était simple mais bonne : elle a fait ses preuves parmi des masses, qui venaient de crucifier le Seigneur Jésus : ce monde était alors plus hostile que le vôtre.
Saluez de ma part les communautés de frères que vous édifiez. Observez dans votre prochaine assemblée cette simplicité de l’esprit et du cœur de notre Église primitive. La grâce agissante du Seigneur Jésus soit avec vous.
Pour copie certifiée apocryphe :
Jean RODHAIN
[1] Réédité dans Jean RODHAIN, Derniers messages, Paris, SOS, 1985, p. 3-4.