Pauvre que je suis
Jean RODHAIN, « Pauvre que je suis », Messages du Secours Catholique, n° 127, février 1963, p. 3.
Pauvre que je suis
Misère étalée du bidonville
Et pureté de l'arc ogival.
La foule n'a plus de pain
Et les disciples dans la sacristie discutaillent.
Entre les deux je reste incertain.
Pauvre que je suis.
Panne dans le désert.
Il suffit de changer un seul écrou.
Ai oublié mes outils,
Et je vais mourir faute d'une clef anglaise.
Pauvre que je suis.
Mon Pierrot a quinze ans.
Il me reste fermé.
Je n'en trouve pas la clef, moi son père.
Pauvre que je suis.
Je sais tout de l'atome.
J'enseigne tout, et plus que tout.
Et voici mon dentier cassé.
Mystère des dents.
Edenté je ne vaux plus que trente pour cent.
Pauvre que je suis.
Ma fermière est une brave fermière,
Voici trente ans que je la connais, à fond.
Cachée en son âme était une perle de grand prix
Négligemment jetés quatre mots d'elle me l'ont révélée,
Hier soir seulement.
Après trente ans ...
Pauvre que je suis.
Splendeurs dans la cathédrale,
Il suffit d'y déchiffrer le grand Missel
Ai pas la clef du latin.
Je ne déchiffre d'ailleurs aucun de vos latins.
Pauvre que je suis.
Elle commençait une phrase...
Et je devinais ce qu'il aurait fallu répondre.
Mais, tremblant de ne trouver le mot pur et vrai,
Je suis resté secret.
Et puis seul. Et toujours seul désormais.
Pauvre que je suis.
Admire le moine qui contemple.
Il me suffirait d'un peu de vrai silence
Car, par instants, je crois entendre ...
Fading. « La communication est coupée ».
C'est le même voltage.
Ou bien il y a friture sur mon fil :
Tantôt c'est la Télé,
Tantôt je suis obsédé par ma Bethsabée...
Pauvre que je suis.
Laboratoires et signes nucléaires ;
C'est clair.
Théologies d'archéologues ;
C'est pas clair.
Et cependant, c’est le même Magister :
Pauvre que je suis
Celui qui est le Maître des atomes,
Et Celui qui est le Maître des Théologiens.
Alors pourquoi cette Tour de Babel
Devant qui, sans grammaire et sans dictionnaire
Je reste coi.
Pauvre que je suis.
Caravelles et frigidaires,
Butagaz et Propagaz,
Télés et prospérités
Vraiment : Siècle de Grandeur.
Et je reste un homme, si petit
Car devant mon âme sans outils.
1963, pauvre que je suis.
Pour te crier, Seigneur,
Le cri de Job avec le mien,
Quel est le psalmiste préparé ?
D'où viendra-t-il ce David attendu,
Celui qui rythmera des psaumes neufs,
Celui qui saura prendre le vieux grain d'autrefois
Et le moudre avec sa grande meule
Pour nous donner le pain d'aujourd'hui
A nous qui devant l'Église avons si faim.
Eglise des Pauvres...
Car c'est de Toi surtout,
Que nous avons faim, Seigneur.
Pauvres, Pauvres, que tous nous sommes.
J.R.