Pauvreté rurale
Jean RODHAIN, « Pauvreté rurale », Messages du Secours Catholique, n° 127, février 1963, p. 3.
Pauvreté rurale
Notre réseau routier s'améliore vraiment : même quand il n'y a pas d'autostrade, on multiplie les « déviations ». Finies les chicanes à travers les ruelles encombrées de troupeaux. A cent à l'heure, on gagne ainsi trois minutes en évitant enfin la traversée du village. Et, de loin entrevu à travers la vitre, blotti comme un bouquet de cèpes à l'orée de la forêt, avec ses toits d'ardoise, ses paisibles fumées se détachant sur les ors de l'automne, ce village se présente comme un véritable bijou parmi cet immense jardin qu'est la France.
La « déviation » terminée, on fonce vers la ville dont, à l'horizon, on distingue déjà les affreux buildings. La route est droite maintenant et on essaie le 110 au cadran. La déviation est déjà loin, on file. On file vite, comme sur la route de Jéricho le prêtre et le lévite accéléraient leur pas sans trop regarder la misère au bord de leur chemin.
Mais si l'on regarde mieux, derrière ce calme paysage de la France, si beau jardin, on découvre une autre réalité : celle des pauvres dans ce monde rural.
Dans chaque village, il n'y a pas seulement, fatal en tout milieu, ce résidu qui coagule ceux qui ont échoué. Il y a un appauvrissement actuel qui est la rançon des événements. Certains réfugiés paient injustement les événements économiques qui transforment la vie française.
Naboth était un pauvre rural. Il avait une vigne. La Bible raconte[1] comment le puissant Achab, partisan du dirigisme économique d'alors, voulait transformer en potager la vigne du pauvre Naboth. Et Saint Ambroise, le grand évêque de Milan, reprenant les thèmes de Saint Basile, décrit[2] longuement l'appauvrissement total de ce rural afin de nous rappeler que la terre a été établie en commun pour tous[3]. Le riche n'est que le gérant de Dieu[4].
L'Église c'est l'Église des pauvres.
« L'Église des pauvres » : cette phrase déchire l'horizon. Au-delà du village de la Lozère ou du Cantal, voici l'Église face à face avec le milliard des ruraux d'Afrique et d'Asie : ceux de la rizière de Haïphong et ceux du mil en Haute-Volta et ceux de la pampa du Brésil. L'industrie n’a touché qu'une faible frange de ces mondes agricoles, accrochés à la terre, à la pauvre terre inondée ou brûlée. Et l'Afrique comme l'Asie, comme l'Amérique du Sud, nous regardent et mesurent la Charité des pays chrétiens : sommes-nous attentifs comme le Samaritain ? Sommes-nous intéressés devant la pauvreté des Naboth écrasés par les événements économiques ?
Une certaine bourgeoisie fut aveugle devant le monde ouvrier du XIX° siècle. Les nations embourgeoisées de l'Occident vont-elles rester aveugles devant le tiers-monde qui s'éveille au XX° siècle[5].
Pour révéler la pauvreté du monde rural en France, une enquête se termine. Les éditions S.O.S. en publient le bilan[6]. Voilà un dossier à consulter pour découvrir une pauvreté toute proche de nous.
J.R.
[1] 1 Rois chapitre XXI, versets 1 à 29
[2] P.L. 14.731-757. Traduction des Bénédictins de Caluire et Cutre (Rhône).
[3] Cf. Riches et Pauvres dans l'Église ancienne (Hamman).
[4] Cf. Les Pauvres ont-ils des droits (Couvreur). 1 vol. Ed. S.O.S.
[5] Cf. Histoire de la bourgeoisie, par Régine Pernoud, Tome 2
[6] Les pauvres dans le Monde Rural, par J. Rousseau. Un volume de 84 pages, 3F00. Editions S.O.S., 106 rue du Bac, Paris 7°.