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Questions brûlantes

24 août 2017
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Jean RODHAIN, « Questions brûlantes », Messages du Secours Catholique, n° 130, mai 1963, p. 1.

Questions brûlantes

Gribouille. - Avouez que ça se tasse le problème des rapatriés : on en parle moins. Un haut fonctionnaire m'a même affirmé que le Ministère des Rapatriés fermerait ses portes le 15 Octobre, les problèmes de réemploi étant résolus.

Sidoine. - Qu'est-ce que cela veut dire « tasser un problème ? » Ce n'est ni français, ni clair. On parle moins des rapatriés, et c'est un tort. En chaire, on devrait faire prier pour eux, comme on prie pour les malades. Car ils souffrent. La plupart sont casés. Mais les plus pauvres ne se casent pas.

Vous habitez depuis trois générations la Bretagne ou la Bourgogne. Vous y avez votre commerce ou votre ferme. Imaginez qu'en quarante-huit heures vous deviez tout abandonner : la vigne que vous avez plantée ou la clientèle que vous avez formée, pour vous réfugier définitivement dans une ville inconnue d'outre-mer. Et ceci contre votre volonté formellement et démocratiquement exprimée. Estimez-vous qu'une telle blessure se cicatriserait vite en vous et chez vos enfants ?

Je prétends que les rapatriés d'Algérie attendent de nous - et du haut en bas de l'échelle - une compréhension aussi attentive qu'à l'instant de leur débarquement l'an dernier.

Le problème de l'emploi est pour eux résolu à 70%. Celui du logement, par contre, n'est résolu qu'à 20% (voir page 3). Je maintiens que, pour une entreprise de Charité, la question des rapatriés reste d'actualité.

Gribouille. - Alors si vous aimez l'actualité, pourquoi ce silence de « Messages » sur l'affaire des Aumôniers de Fresnes ? Et sur l'abandon des prisonniers ? Qui est coupable de cet abandon ? Est-ce l'Administration ? ou bien est-ce l'Aumônerie ? Qui a raison ? On a beaucoup écrit à ce sujet…

Sidoine. - Il est très facile d'écrire. On ne manque pas d'écrivains. Mais on manque d'apôtres.

Quand on cherche des vocations de laïcs pour visiter les détenus, la totalité des protestataires rentre sous terre, et 99% de ceux qui proclament leur attachement à la masse populaire se dérobent faute de temps, ce qui est parfaitement légitime.

On s'indigne que Saint Vincent de Paul ait dû remédier à l'abandon des galériens dans ces siècles retardataires, mais en 1963, quand on cherche à recruter des aumôniers de prisons, les candidats sont aussi rares qu'au temps des galères. Ce n'est pas une excuse : c'est un fait, indiscutable.

Cela dit, quand une nomination, ou une mutation, ou une sanction est décidée dans cette corporation de l’Aumônerie, ce n'est pas la peine d'épiloguer pour chercher quel est le responsable qui travaille en accord avec l'Administration pénitentiaire : c'est l'Aumônier général des prisons. Et il n'a pas à débattre en public de chaque dossier. Il est responsable devant ses supérieurs, et non pas devant le public : il ne remplit pas une fonction soumise à référendum ou à élection.

Le vrai problème - et il ne dépend ni de l'Administration pénitentiaire, ni des aumôniers - c'est qu'il y a en France actuellement dans les prisons une forte proportion de jeunes. Ils sont en péril. Et sans porter ici d'appréciation ni sur leur faute, ni sur la sentence, j'estime qu'après avoir prodigué les réconciliations spectaculaires hors de ses frontières, la France pourrait se mettre enfin, chez elle, à l'heure de l'amnistie.

Gribouille. - J'ai lu dans un journal bien-pensant qu'au Viet-Nam, les évêques pratiquaient encore cette charité distributive qui reste colorée de paternalisme. Il serait temps de s'adapter aussi et je me suis réjoui de lire dans le dernier numéro de « Messages » une citation réprouvant l'attitude aumônière de Mme Boucicaut encore statufiée en plein Paris. Quand fera-t-on disparaître ce monument qui est un défi à la dignité de la personne humaine ?

Sidoine. - Je souhaite qu'on ne touche pas à ce monument : il est permis de sourire du statuaire qui a maladroitement figé le personnage dans l'attitude d'un instant. Mais il a trahi la personne : toute la vie de Mme Boucicaut a été bonté maternelle. En son temps, les Français ont d'ailleurs construit plus de chemins de fer que de nos jours, et de son vivant, Paris a bâti trois fois plus d'hôpitaux que pendant les deux dernières Républiques. Avant de plaisanter les grand-mères, il n'est pas inutile de dire leurs vérités aux petits-fils trop vite satisfaits.

Quant au journal qui faisait comparaître à son tribunal l'Épiscopat Vietnamien, il a dû insérer une réponse de leur représentant. Cet évêque répliquait ainsi : « Nous avons eu depuis cent ans, parmi nos évêques, nos prêtres et nos laïcs, environ 100.000 martyrs qui ont versé leur sang pour la Foi dans les persécutions. Vous, qui nous jugez tranquillement depuis votre fauteuil parisien, venez ici, et faites-en autant. »

Cela ne répond pas à toutes les questions. Cela laisse le droit d'étudier le présent, mais c'est une réponse à méditer : c'est à l'ouvrage qu'on reconnaît l'ouvrier.

J'écoute les Gribouilles et les Sidoines de toutes les paroisses de France et de Navarre. Leur dialogue, vieux comme la Gaule, cache un fond de générosité inépuisable. Le plus amer de nos Gribouilles saura se sacrifier pour les autres sans vouloir l'avouer.

La bonne volonté ne manque pas.

Ce qui manque, c'est la connaissance du service possible au service de la misère.

Nous surabondons de chimistes qui analysent l'eau de mer. Et nous manquons de marins pour ramer au bateau.

Auprès des prisonniers (ils existent), auprès des rapatriés (ils ne sont pas logés), auprès des pauvres (ce ne sont pas ceux que l'on voit), auprès des peuples de la faim (en quatre heures d'avion vous êtes à Ouagadougou), on embauche pour travailler à leur service.

« Jusqu'ici personne ne nous avait embauchés. » Cette question brûlante n'a rien à voir avec la politique. C'est une plainte extraite de l'Evangile. Elle vient de ceux qui attendent l'occasion de se dévouer.

Le chantier reste ouvert. Et le bateau est disposé à embarquer.

Jean RODHAIN.

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