Réconciliation
Jean RODHAIN, « Réconciliation », Messages du Secours Catholique, n° 134, octobre 1963, p. 4.
Réconciliation
- Nous étions plus de 35.000 à Chartres, précédés de cette statue de Notre-Dame de la Merci. Sa reproduction a été vénérée dans tous les stalags pendant 5 ans. Et cette statue est maintenant à l'Aumônerie générale des prisons, 106, rue du Bac.
- Mais pourquoi cette supplication à Chartres, en ce dimanche 29 septembre ? En voici l'explication :
La France a multiplié les gestes de réconciliation au-delà de ses frontières. C'est le propre de la grandeur. Et il faut se féliciter d'appartenir à un pays qui a su se dominer assez pour se réconcilier publiquement avec ceux contre qui nous nous battions au-delà du Rhin, ou au-delà de la Méditerranée. L’Etat a manifesté solennellement ces réconciliations. Les familles qui portaient dans le secret le prix de ces combats ont accepté cette réconciliation. Mais ce sont elles qui en ont tout le mérite. En silence.
La France n'a pas lésiné pour payer très cher cet oubli. Elle n'a compté ni ses deuils, ni ses ruines, ni même son aide financière. Cette générosité pour l'ennemi d'hier, cette libéralité pour l'étranger, ressemble bien aux gestes de certains de nos rois de France. Un saint Louis en a donné l'exemple.
Mais saint Louis nous demanderait de ne pas oublier les Français.
Le Français est un peuple fier qui ne réclame pas le pardon, ni l'éclat.
Il est - comme Jeanne d'Arc - mal à son aise quand le pays se divise en Armagnacs et Bourguignons. Chaque famille française qui a perdu un père devant Sedan ou un fils en Kabylie accepte la paix entre les pays mais réclame du même coup la même paix au dedans de notre propre France. Et il n'y a pas de paix possible au dedans quand il y a trop de familles dont le fils ou le père est captif en douce France.
Pour que les Armagnacs et les Bourguignons s'entendent, Jeanne d'Arc avait un moyen. Et pour que la paix règne en son royaume saint Louis avait un moyen. Le même. Ils se mettaient à genoux.
Voilà pourquoi tant d'hommes d'opinions très diverses, tant de familles d'Algérie, tant de familles de prisonniers (et tellement de jeunes gens) étaient en prière sur les routes de Chartres, au matin du 29 septembre. Et la messe, célébrée dans la cathédrale, le soir, n'avait que cette seule intention : obtenir du Seigneur cette paix que - Il nous en a prévenu Lui-même - le monde ne sait pas donner.
Jean RODHAIN,
Ancien Aumônier de la 3° Division Cuirassée,
Aumônier général des prisons.