Sermon sur la balance
Jean RODHAIN, "Sermon sur la balance", dans : SECOURS CATHOLIQUE, Les pauvres, nos autres "frères séparés", Paris, SOS, 1963, p. 37.
Sermon sur la balance
Au tympan des églises, un ange de pierre se tient devant le Juge et il pèse les âmes avec une balance...
1. Je serai pesé avec cette balance-là : « Venez les bénis de mon Père. J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. »
Ai-je l’estime du pauvre ?
Je ridiculise le Pharisien qui donnait la dîme, le dixième. Mais est-ce que je fais mieux, ou plutôt est-ce que je fais autant que lui : 10% aux pauvres de 1963 ?
2. Celui-ci avait faim, mais de vérité. Il attendait de moi non du pain, mais une parole de lumière. Est-ce que le lis l’Évangile ? Est-ce que je médite chaque jour pour éclairer demain mon frère ? Je serai jugé sur cette paresse qui appauvrit mes frères...
Est-ce que j’ai l’estime des moyens simples et pauvres : la visite sans résultat, le sacrifice caché, le témoignage en silence, la prière pour les pauvres agonisants : un agonisant est toujours pauvre.
3. Et mon tour viendra. Plus de colifichets. Avec mon seul linceul. Pauvre et nu. « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. » Alors Celui qui a fondé l’Église des Pauvres me pèsera, avec cette balance-là...
Et ce ne sera pas une balance d’épicerie avec un ticket délivré d’après le poids d’aumônes, pour entrer.
Non. Ce seront d’autres poids et une autre vision. Ce que nous appelions richesse se dévaluera. Ce sera un autre monde. Ou plutôt, c’est déjà un autre monde qui existe, plus réel que le décor de nos ors.
4. Balance. Bascule. Basculement. La mort nous y bascule en ce monde meilleur. Mais pour le goûter, cet invisible monde, il y parvient déjà celui qui se dépouille dès maintenant. Et François y trouve la joie. Le vrai pauvre y goûte la paix. Dans ce monde, sont « Bienheureux les pauvres en esprit. » Ce basculement change tout. Il y a vraiment deux poids et deux mesures : ceux du monde et ceux du Christ. Son Église, en devenant l’Église des Pauvres, pèsera plus qu’une révolution... Ce sera un cortège inattendu qui s’avancera : « Venez les bénis de mon Père. J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. »
Jean Rodhain