En Jérusalem
Jean RODHAIN, « En Jérusalem », Messages du Secours Catholique, n° 141, mai 1964, p. 1.
En Jérusalem
Je rentre de Jérusalem. Depuis le chauffeur de taxi Jusqu'au Gouverneur Jordanien de la ville, tout le monde ne parle que de la visite du Pape. Et, bien entendu, ce ne sont pas seulement les aspects mystiques et œcuméniques qui font parler commerçants et hôteliers... Ce pèlerinage, entré dans cinq cent millions de familles par la télévision et le cinéma, provoque à travers les cinq continents une curiosité qui se traduit par un raz-de-marée de pèlerins sur Jérusalem. Une puissante compagnie américaine a littéralement saccagé le Mont des Oliviers en le coiffant d'un gigantesque hôtel de grand luxe : toutes ses chambres sont louées jusqu'en 1970. En Jérusalem, on ne trouve plus une chambre ni pour un pèlerin, ni pour un touriste.
Je n'y allais ni en pèlerin, ni en touriste. J'y allais en mission. Et, de retour, je me frotte les yeux pour savoir si je rêve éveillé, tellement cette mission était inattendue.
Voici ce qui s'est passé.
Il y a six mois, pendant le Concile, je suis convoqué à Rome par sa Béatitude Maximos IV Saigh, Patriarche d'Antioche, Alexandrie et Jérusalem, qui me déclare :
« A Jérusalem, il y a des pèlerins qui ne peuvent rester que très peu de temps car leur pauvreté ne leur permet pas de payer plusieurs nuits d’hôtel. En Orient, il y a des milliers de pauvres qui viendraient à Jérusalem s'il y avait une Cité gratuite, comme à Lourdes. Je demande au Secours Catholique de construire une Cité-Secours à Jérusalem ».
J'avais déjà vingt fois haussé les épaules lorsque des pèlerins revenant de Palestine nous écrivaient « Pour les jeunes, vous devriez là-bas… »
Mais ce soir-là, après la demande de Sa Béatitude Maximos, qui fut au Concile - avec éclat - le premier avocat de l'Église des Pauvres, j'avais, dans les rues de Rome, l'impression que le Forum et le Palatin chaviraient comme dans une féerie.
La proposition était séduisante. Mais la Palestine est loin. Et Jérusalem, pendant ce Concile, était-ce vraiment d'actualité ?
Quinze jours après, le Pape annonce au Concile étonné, et au monde stupéfait, qu'il part pour... Jérusalem.
Alors tout se précipite.
Le Conseil d'Administration du Secours Catholique décide, en principe, de répondre affirmativement à la demande du Patriarche Maximos, sous réserve de l'avis du Saint-Siège.
Sa Sainteté Paul VI, qui a visité deux fois minutieusement la Cité-Secours de Lourdes, souhaite qu'après consultation et avec l'accord des autorités ecclésiastiques locales, soit fondée une Cité semblable à Jérusalem.
Et une lettre de la Secrétairerie d'État, adressée au Secours Catholique, confirme que « Sa Sainteté a été vivement intéressée par ce projet et ne peut qu'encourager et bénir ceux qui en procureront la réalisation ».
L'accueil des autorités ecclésiastiques de Jérusalem a été un premier réconfort. Les premières conversations ont eu lieu dans cette maison de la Délégation Apostolique, à l'endroit exact de la rencontre historique de Sa Sainteté Paul VI et du Patriarche Athénagoras.
Il arrive parfois, lorsqu'on fonde une Cité, que les institutions existantes manifestent des inquiétudes. Des inquiétudes toujours apostoliques, mais enfin des inquiétudes inquiétantes. A Jérusalem, sur 23 institutions interrogées, 22 ont déclaré qu'une Cité pour les pauvres était non seulement utile, mais indispensable : après une semaine de consultations à Jérusalem, je voyais le ciel devenir radieux.
Car, là-bas, tous les experts concordent : la situation évolue vite.
En 1910, Jérusalem était une expédition coûteuse et périlleuse, réservée à un groupe de pèlerins fortunés.
En 1964, à moins d'avoir les yeux fermés par une croûte épaisse de traditions, on découvre sur les chemins de Palestine des groupes de très pauvres pèlerins, des orthodoxes arrivant de Chypre, ou des catholiques venant du Liban. Ils ne vont pas à l’hôtel... On découvre, venant de France et d'Allemagne, des centaines de Jeunes arrivant isolés, ou en auto-stop, ou en camions, ou en moto, après avoir voyagé dans les cales d'un bateau. Il y a des séminaristes. Il y a le petit ménage de militants qui ont économisé pendant dix ans pour faire la traversée. Ils arrivent de plus en plus nombreux, sans guide, sans expérience, sans argent. S'ils repartent après trois jours, ils n'auront rien compris de la véritable Jérusalem. Ils venaient cependant pour connaître et comprendre le pays de l'Évangile.
Une Cité où ils trouveront le silence et la paix...
Une Cité où ils pourront rester cinq jours de plus sans payer.
Une Cité où les excellentes institutions religieuses existantes en Palestine fourniront leurs guides si compétents, si expérimentés. Voilà ce que tous réclament en Jérusalem.
Dans la ville même de la Grande Rencontre du Pape et du Patriarche de Constantinople, cette Cité sera animée et servie grâce à des concours offerts par toutes les Églises. Elle accueillera d'un même cœur ceux de toutes nations, et de toutes confessions, et de toutes races : ne sommes-nous pas tous fils d'Abraham ?
Elle s'appellera donc « Cité-Secours Abraham ».
Il n'y a pas de chambres libres à Jérusalem et les terrains sont-ils introuvables ?
Rassurez-vous. Sous l'égide de Caritas Internationalis, le terrain est trouvé. L'acte a été signé à Jérusalem le 22 Avril. Il ne se passera pas beaucoup de temps avant que l'équipement ne soit sur place.
Si, il y a un an, on nous avait dit que le Secours Catholique aurait cet honneur, et ce risque, nous n'y aurions pas cru.
Ces marques de confiance reçues, cette responsabilité confiée, ce lieu proposé, voici pour tous nos amis un réconfort dont je me réjouis pour chacun de vous, lecteurs et collaborateurs fidèles de ces « Messages ».
Mgr Jean RODHAIN