Est- de la politique ? ou de la justice ? Ou de la Charité?
Jean RODHAIN, « Est-ce de la politique ? Ou de la justice ? Ou de la charité ? », Messages du Secours Catholique, n° 144, septembre 1964, p. 3.
Est- de la politique ? Ou de la justice ? Ou de la Charité ?
Vous êtes épicier à Plougastel ou tourneur sur métaux à Romorantin.
Un beau matin, des « événements » décidés par l'État vous envoient à Dunkerque avec 24 heures de délai pour abandonner le magasin de Plougastel et la modeste maison péniblement acquise à Romorantin.
Si l'État refuse d'indemniser l'un et l'autre, nous voyons aussitôt les syndicats protester au nom de la Justice, et l'évêché publier une déclaration sur les droits de la personne humaine.
Ce n'est pas de la politique.
En cette circonstance, syndicat et évêché restent dans le strict domaine des exigences de la simple justice.
Vous êtes épicier à Bab-el-Oued, ou tourneur sur métaux à Oran. Un beau matin, un traité signé par l'État provoque votre départ immédiat avec abandon de votre fonds de commerce de Bab-el-Oued et de la modeste maison acquise dans la banlieue d’Oran.
L'Etat semble refuser pour le moment d'indemniser l'un et l'autre. Il déclare au journal officiel que ce devoir incombe à un autre : l'État Algérien (Journal officiel - Débats de l’Assemblée Nationale – N°63 du 18 juillet 1964 Réponse à une question de M. Cornut-Gentille, page 2499).
En attendant, il y a quelqu'un qui souffre, qui subit : c'est le rapatrié.
Même si les syndicats ne protestent pas, même si l'évêché n'a pas encore publié son texte, je prétends que cet épicier et ce tourneur, et leurs deux familles risquent d'être lésés gravement, qu'ils le sont pratiquement déjà.
Il ne s'agit pas de politique.
Il s'agit des droits de la personne humaine. Il s'agit de la simple justice.
Or avant d'être charitable, il faut commencer par être juste. Quand un coup injuste frappe un homme, la première des charités est de rappeler la justice.
Voilà pourquoi dans ce « Messages » il ne s’agit pas seulement de panser les blessures faites, mais de demander que l'on commence par ne pas provoquer les blessures. Il ne s'agit pas de parler du passé, mais de l'actualité.
Ce n'est pas un terrain politique. C'est la justice tout court.
Il y aura moins de drames et de misères chez les rapatriés quand ceux des Français qui n’ont pas souffert comme eux mesureront exactement leurs drames et leurs misères.
Vérité d'abord.
J. R.