Le carnet de Sidoine
Jean RODHAIN, « Le carnet de Sidoine », Messages du Secours Catholique, n° 142, juin 1964, p. 2.
Le carnet de Sidoine
Selon que vous serez puissant ou misérable
Pour retrouver la femme d'un industriel parisien, enlevée par des bandits, on a mobilisé 15000 policiers. S'il y avait vote, je voterais pour en mobiliser le double, car il faut tout faire pour sauver une vie.
Mais, à propos, pour retrouver les 2000 pauvres citoyens français enlevés par le F.L.N., Combien y a-t-il de policiers employés ? Combien de lignes découvre-t-on dans la presse française d'information - hors du récent appel des cardinaux - sur ces 2.000 disparus et leurs 2.000 familles douloureuses ?
Son de cloche
A l’entrée de la Cité-Secours, à Lourdes, est exposée une des 400 cloches récupérées parmi les églises désaffectées en Algérie.
Le guide de la Cité me confie que tous les visiteurs l’interrogent sur l'origine de la cloche. Le guide relate le fait mais ne fait aucun commentaire.
Comment réagissent les visiteurs ?
Cela dépend. Les étrangers poussent des exclamations et questionnent sur ce recul évident de l’Église en Afrique.
Les Français ne posent aucune question. Ils s'éloignent, comme s’ils avaient touché un fer rouge. Ils s'éloignent vite, et généralement la tête basse. Il y a peu de gens qui osent regarder les vérités en face.
Parlez-nous d'autres choses
Question. - Les 2000 familles en souci ou en deuil d'un disparu, et ces paroisses mortes d'Algérie, ce sont des questions brûlantes. Pourquoi donc, Sidoine, y touchez-vous ? Cherchez donc des sujets apaisants. Il y en a.
Réponse. - Un médecin voit les malades c’est pour lui l'actualité. Un organisme charitable reçoit les familles en souci. Et il travaille. Les soucis confiés ce matin, et les travaux réalisés aujourd'hui, c’est l’actualité de la Charité. Démonter une cloche, la descendre d'un clocher, recommencer 400 fois l’opération, saluer une dernière fois les tombes des paroissiens, et fermer les portes de l'église, cela est un fait. Cela fait partie de l'actualité. Cela est de l’Histoire de France et de l’Histoire de l’Église. Tous les discours du monde n’y changeront rien. Mettez-vous à ma place. Imaginez que vous faites vous-même ce travail de fermeture d’églises en ce bel été de juin 1964 : ne comprenez-vous pas que si la question est certes brûlante, il faudrait que je sois sourd, aveugle et muet, et que j’aie perdu toute notion de Charité, vertu d’Église vivante, pour me taire ?
Sidoine