Le diaconat, une fondation sans fondateur
Jean RODHAIN, « Rome, le Concile. Le diaconat. Une fondation sans fondateur », Messages du Secours Catholique, n° 145, octobre 1964, p. 3.
Le diaconat, une fondation sans fondateur
Imaginons un hôpital avec ses spécialités bien définies : infirmiers, assistants, médecins, chirurgiens, administrateurs, directeur général.
Animé d'une ambition professionnelle légitime, chacun aspire au grade supérieur dans sa spécialité. C'est très bien. L'assistant médecin devient médecin puis médecin-chef.
Mais imaginons que peu à peu cette ambition devienne fringale : avec le temps, voici les postes humbles délaisses et même chacun s'efforce de changer de catégorie. La fille de salle s'intitule infirmière. L'infirmier se spécialise dans l’anesthésie.
C'est à la fois un progrès en valeur technique, mais aussi un vide qui se crée à la base, comme dans une usine où surabonderont les ingénieurs, tandis que manqueront les contremaîtres.
Pendant un certain temps cet hôpital vivra sur la vitesse acquise, et il se trouvera des conférenciers pour louer cette promotion générale qui va évidemment dans le sens de l'histoire sociale et de l’inéluctable montée de la civilisation technique.
Mais il arrive que des charpentes d'acier admirablement calculées par des architectes brevetés s'écroulent parce qu'il n'y avait plus de petits contremaîtres pour simplement serrer les écrous.
Mais il arrive que dans l’hôpital le malade admirablement opéré guérisse avec des délais anormaux parce qu'il manque une infirmière pour les humbles soins du pansement et les délicats services de l'homme immobilisé.
Mais il arrive enfin que sur les 100 membres du personnel il y en a 20 qui ne sont pas à leur aise, qui ne sont pas épanouis. On fait venir le psychanalyste qui accusera le milieu, l’administration, ou le coloris de l'escalier. On consulte finalement la vieille surveillante qui ne mâche pas ses mots : « Ces gens-là ne sont pas à leur place. Celui-ci avait une vocation d'infirmier soignant, il n'est pas à son aise au laboratoire d'analyse. Celle-ci avait des aptitudes évidentes pour la salle des tout-petits, elle ne réussit pas comme directrice de pavillon. Rétablissez donc les spécialités avec leurs spécialistes à leur place, même si elle n'est que la troisième place. »
L'Église naissante, avait créé des spécialités. « Nous ne pouvons tout faire, s’écrie saint Pierre, au lendemain de la Pentecôte. Afin de nous consacrer entièrement, nous, Apôtres, au ministère de la Prédication, déléguons le service des pauvres à des spécialistes. » Et les Apôtres pour ce service instituent le diaconat. C’est le premier mouvement spécialisé dans l’Église. » (Actes des Apôtres 6, 1-7).
Depuis saint Etienne, diacre, depuis saint Laurent, diacre, pendant quatorze siècles, ces humbles fonctionnaires ont rempli dans l'Église des tâches secondaires. Ils sont restés à leur place.
Peu à peu ils ont ambitionné un échelon supérieur. Il n'y en avait qu'un seul disponible : l'Archidiacre qui coordonnait tous les diacres d'un diocèse.
Ne trouvant pas de débouché de ce côté, ils ont quitté leur spécialité et sont passés dans une autre, le sacerdoce.
Les Eglises d’Orient ont conservé le diaconat et leurs diacres spécialisés. L’Église d'occident est aujourd'hui cette institution où les postes sacerdotaux sont occupés, mais où les postes diaconaux sont vides.
Dans une usine la densité des ingénieurs ne supplée jamais à l'absence des contremaîtres. Dans une usine, ce déséquilibre dans la répartition des fonctions se traduit en clair dans le rendement et sur le bilan.
Dans l'Église où le rendement est non calculable et où les bilans sont très espacés, il a fallu un Concile pour révéler au public que les postes diaconaux étaient vides depuis 400 ans.
Il a fallu un cardinal[1] pour déclarer en plein Concile que parmi les causes du malaise du clergé on pouvait noter « ces prêtres qui, en fait, avaient une vocation plus diaconale que sacerdotale ».
Il a fallu que dans certains pays des centaines d'hommes jeunes pratiquent secrètement au service des pauvres une vie « diaconale » à titre expérimental sans ordination aucune, pour que leurs évêques témoignent que l'idée n'était plus chimérique.
Il a fallu surtout une longue étude théologique du « ministère des pauvres », exemplairement présenté par le Christ dans sa vie pour peu à peu dévoiler comment le Christ continué ne pouvait être qu'une Église au service des pauvres.
Le diaconat rétabli n'est donc pas une opération d'archéologie reconstituant des vestiges d'une époque révolue.
Le diaconat rétabli n'est pas un perfectionnement technique d'une Église qui, se voulant à l'échelle humaine, répartirait mieux ses échelons hiérarchiques pour les adapter aux divers niveaux techniques d'un monde de plus en plus spécialisé.
Le diaconat rétabli va susciter de multiples problèmes : séminaires de formation, budget de rétribution, encadrement spirituel. Et surtout, présence dans la hiérarchie - les diacres ne sont pas des laïcs - d'éléments mariés et chargés de famille. Voilà des problèmes nouveaux pour l’Église. Mais ce sont des problèmes d'Église.
Ce n'est pas un petit fondateur qui s'aventure à susciter sa propre congrégation religieuse. C’est l'Église, réunie en Concile, qui juge que l’heure est arrivée de cette création, de cette fondation qui n'aura pas de fondateur à béatifier.
Depuis le début de ce Concile, il est question de l'Église des Pauvres. Dans quelques jours ce Concile va mettre en question la présence de l’Église au monde actuel. Et entre ces deux questions, le Concile rétablit le diaconat : cela situe ce diaconat de demain.
J.R.
[1] S. Em. Le cardinal Richaud, archevêque de Bordeaux. 2ème Session du Concile – 44° Congrégation générale – 9 octobre 1963 – Intervention pour le diaconat.