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Lettre d'un curé rural présent au Concile

25 août 2017
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Jean RODHAIN, « Lettre d'un curé rural présent au Concile », Messages du Secours Catholique, n° 146, novembre 1964, p. 2.

Lettre d'un curé rural présent au Concile

Rome, le 3 novembre 1964

Mes chers paroissiens,

Votre nombre dépasse à peine la centaine et votre présence à notre Messe dominicale est si minime qu'autrefois j'avais pris l'habitude de compléter mon humble homélie par cette lettre mensuelle. Aujourd'hui elle est donc datée de Rome et elle voudrait vous parler de ce Concile : oui, je le sais, il vous paraît bien éloigné de vos semailles d'automne et de la taxation de ce lait que vous livrez chaque soir à notre fromagerie coopérative. Mais la cours du blé et la fourniture du lait ne sont pas des détails négligeables : les détails constituent la vie.

Et ici même, j’observe les détails. Et je vous en cite quelques-uns...

A Saint-Pierre, c'est connu, la Garde Palatine à l'entrée du Pape présentait les armes. Or, elle ne présente plus les armes, et ceci pour une raison très simple : elle n'a plus d'armes. Ses fusils sans cartouches ont disparu. Certes ses soldats défilent encore. Mais ne présentant plus les armes, ils cherchent gauchement une contenance pour des bras et des mains qui n'ont plus rien à tenir.

Plus de fusils dans saint-Pierre depuis l'arrivée de Paul VI ? Ce n'est qu’un détail. Mais je le note.

Au Vatican, avant d’être reçu en audience par le Pape, on vous fait transiter par une série de salons.

La longue attente est tempérée grâce à ce savant éclusage et, progressant peu à peu d'un salon à l'autre, on avait le loisir de contempler des murs tendus de brocarts pourpre et des guéridons chargés de pendules monumentales. On admirait ces vestiges de donateurs encombrants. On s'interrogeait sur la valeur apologétique de ce bric-à-brac où les dorures l'emportaient sur le bon goût.

Depuis cet été tout s'est envolé. Quelques tons pastels sur des murs dénudés. Un rideau gris clair. Une statue antique. Une sobriété évangélique. Ce ne sont que des détails, direz-vous, mais...

Pour la première fois dans l'histoire des Conciles, c'est non pas un Prince comme au XIV° siècle, ni un ambassadeur comme au Concile de Trente qui est intervenu l'autre semaine devant tant de clercs rassemblés, mais un ancien ouvrier en veston, président d'un mouvement laïc. Comme il parlait en anglais je n'ai pas saisi son discours, mais sa présence m'a semblé plus importante qu'un détail...

Vous allez dire que je me contente de peu. Certains d'entre vous m'ont écrit qu'ils avaient lu dans leur journal de gros titres dévoilant au Concile des orages et des divisions alarmantes. Et ils vont s’étonner de ne pas me voir à mon tour alarmé.

Je ne suis ni sourd ni aveugle, mais je relis l'histoire des autres Conciles. Le dernier fut interrompu par une guerre[1]. Les précédents sont assaisonnés d’émeutes[2] ou disperses par le choléra[3], ou décapités par les empereurs[4], tantôt aux prises avec un anti-pape[5], tantôt divisés jusqu’au schisme[6]. A côté de cette fresque toujours dramatique, ce Concile actuel me parait jusqu’ici d’une tonalité bien adoucie. Il n'y a pas d’événements spectaculaires. Mais il y a des craquements semblables à la sève printanière venant rajeunir les sarments de nos vignes. Le tout c’est de ne pas confondre la sève avec le venin...

Il est bon que la chrétienté tout entière soit associée aux travaux de ce Concile. C'est un heureux avantage dû aux progrès modernes de l'information. Et les remous, les réactions des fidèles du monde entier ne sont pas inutiles pour les pasteurs restant à l'écoute de leur troupeau.

Mais je me demande parfois si les remous dont on parle expriment la pensée des fidèles ou bien si, au contraire ils ne seraient pas quelquefois l'œuvre de deux ou trois spécialistes de la distillation qui ne sauraient pas toujours distinguer le venin de la sève véritable ?

Vous souvenez-vous de cette venimeuse chaisière qui fut tellement le fléau d'une paroisse de notre doyenné au siècle dernier, qu’aujourd'hui on en parle encore dans toute la région ? Attentive aux malentendus, elle les amplifiait. Si la notaire visitait le juge de paix, elle distillait cent insinuations. Un héritage, une adjudication, une maladie, une infidélité devenaient par elle une pollution générale de l'atmosphère. Il a fallu sa condamnation en une affaire de lettres anonymes pour se rendre compte enfin qu'elle avait réussi à « mettre en condition » toute la paroisse par la terreur qu'elle distillait.

Si j'étais le diable - car je crois encore au diable, mes bien chers frères - je ne combattrais pas ce Concile avec des méthodes guerrières comme au Moyen-Âge, mais j'imiterais la méthode de la chaisière. Je distillerais des détails dénigrants, je collectionnerais les balayures de couloirs pour en saupoudrer les journaux, je révèlerais uniquement celles des indiscrétions capables d'alarmer la public, je tairais le travail régulier pour n'encadrer que les ratures, que les fissures, que les déchets. En un mot, je mettrais en condition l'opinion publique pour introduire le désarroi en elle et jusqu'aux abords même de saint-Pierre.

Ce travail me serait à moi, démon, aujourd'hui très facile, car « à l'époque actuelle, l'humanité est en voie de grandes transformations, de bouleversements et de développements qui changent profondément non seulement ses manières extérieures de vivre mais aussi ses manières de penser. Sa pensée, sa culture, son esprit sont intimement modifiés soit par le progrès scientifique, technique et social, soit par les courants de pensée philosophique, et politique, qui l'envahissent et la traversent. Tout cela, comme les vagues d’une mer, enveloppe et secoue l’Église elle-même ; les esprits des hommes qui se confient à elle sont fortement influencés par le climat du monde temporel; si bien qu'un danger comme de vertige, d’étourdissement, d'égarement peut secouer sa solidité elle-même et induire beaucoup de gens à accueillir les manières de pensée les plus étranges, comme si l’Église devait se désavouer elle-même et adopter des manières de vivre toutes nouvelles et jamais conçues jusqu’ici. »

Ces quinze dernières lignes, mes frères, ne sont pas de votre Curé. Elles sont du Pape actuel qui en son Encyclique prévoit exactement les égarements possibles de l’opinion en face d'une Église décidée à se rajeunir[7].

Mes chers paroissiens, ce rajeunissement de l’Église est le drame véritable de ce Concile. Et le cas de conscience qu'en secret chacun des Pères ne pose devant Dieu est suspendu non pas aux discussions d'une phrase, mais à l'orientation nouvelle de toute l’Église que chaque phrase devrait traduire en traits de feu.

Mes chers paroissiens, je sais que vous n'avez pas le temps d'entrer dans le détail de nos travaux conciliaires, quoique ces travaux vous concernent directement, vous les baptisés, mais je sais que vous devinez où se trouve l'essentiel. Vous n’êtes pas exacts, hélas, et notre Grand'Messe vous travaillez durement vos terres, vous soignez amoureusement vos vignes, vous négociez laborieusement votre bétail. Cependant, vous venez me réclamer des prières pour la pluie car vous savez votre travail à la merci du gel ou de la grêle ou de la mauvaise année et vous êtes convaincus que la Créateur, finalement, dispose de tout..,

J’avais à côté de moi ce matin au Concile dans la tribune un autre curé. Il débarquait d'hier et visiblement, le genre de débat et la longueur des interventions le déconcertaient quelque peu. J'allais le plaisanter et lui demander ce qu’il pouvait bien faire en cette histoire.

Je me suis arrêté à temps, en découvrant qu'il disait son chapelet. Un curé priait pour le Concile au moment même où se discutait la place et le rôle des laïcs dans l'Église. Un Curé présent au Concile priait pour nos travaux exactement comme vous priez à l’instant de l'orage, de la grêle, ou à la veille d’une naissance à votre foyer.

Je sais bien que ma lettre vous étonnera un peu car depuis que je fus le pasteur de votre petit troupeau rural, J'ai dû occuper quelques autres petites fonctions moins rurales qui ont raréfié notre correspondance. Mais ce curé, mon voisin qui priait tout simplement ce matin pour le Concile, m'a donné l'envie de vous le citer. C'est un détail. Permettez que, depuis Rome, je vous la donne en exemple...

Jean RODHAIN

Ex curé de Mandres-s/Vair (130 hab.)

 

[1] Vatican I, 1870.

[2] Chalcédoine, 449.

[3] Trente - Bologne, 1347.

[4] Constantinople, 680.

[5] Latran II, 1139.

[6] Bâle - Ferrare, 1431.

[7] Ecclesiam suam, traduction française, éd. Vaticane, p. 16-17.

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