La bouée parlante
Jean RODHAIN, « La bouée parlante », Messages du Secours Catholique, n° 157, novembre 1965, p. 1.[1]
La bouée parlante
La bouée parlante
Dès que nous embarquons, et ceci aussi bien à Istanbul que sur le lac de Gérardmer, le premier geste de mon fidèle Sidoine est d’aller repérer sur le bateau l'emplacement des bouées. Sidoine, plus à l'aise dans sa sacristie que sur les flots, me voit sourire : « On ne sait jamais... en cas de naufrage... » Une seule bouée à portée de la main, et voilà Sidoine tranquille. Et moi aussi, car désormais Sidoine ne grognera plus pendant la traversée.
J'ai tort de rire. Dans les naufrages quotidiens, ce sont toujours les pauvres qui paient. Je devrais relire la dernière page de chaque « Message ». Ces milliers de « cas » dont l'avenir ne tient qu'à un fil. À un filin avec une bouée au bout. Cette bouée individuelle qui, à la veille de couler, leur permet de surnager. De sauver leur foyer naufragé. De ne pas laisser partir au fil de l'eau l'enfant handicapé. Dans cet océan de misère, ces mille secrets que seule une bouée pourrait raconter...
La bouée démodée
« Monsieur, écrit une lectrice, votre bouée est démodée. Elle évoque le temps des galères et de la marine à voile. Le Secours Catholique disparaîtra comme le marchand de marrons et le vitrier qui passe. Votre bouée, c’est du secours individuel. C’est de l'artisanat. Nous sommes à l'époque de l'institutionnel et du collectif. Nous sommes à l'âge des cosmonautes et des capsules Gemini. »
Réponse : Justement, madame, regardez sur l'écran cette capsule Gemini qui amerrit après son périple astronautique. Cette capsule bourrée d'instruments vaut 5 milliards. Or, quel est le premier geste des spécialistes ? Ils fixent cette capsule ultra-moderne à une bouée. Une bouée énorme en plastique. Mais une bouée sans laquelle ce chef d'œuvre coulerait à pic. Bouée pas morte. L'action charitable non plus.
La bouée et sa cordée
La bouée ne sert que s'il se trouve un matelot pour saisir le naufragé qui s'y est accroché. Il faudra ensuite un infirmier pour soigner sa pneumonie, car la bouée ne réchauffe pas l'eau glacée. Il faudra ensuite toute la chaîne des primes d'assurances, des versements de la Sécurité Sociale. Toute la cordée des institutions au service de l'homme. Le bon Samaritain, après le premier secours d'urgence, a exactement conduit le blessé de la route jusqu'à la prochaine hôtellerie (Cité-Secours de l'an 30) et a payé d'avance la pension de ce frère. C'est la chaîne humaine et collective et institutionnelle animée par la charité. Une charité extraordinaire, puisqu'elle tient du Seigneur et qu'elle passe par nos très pauvres mains...
Une bouée est le signe de cette solidarité. La bouée S.O.S. est l’insigne d'un secours qui est un réseau. Un réseau international. Un réseau de services. Une institution équipée avec les techniques de 1966.
C'est pour animer ce réseau communautaire, c'est pour entraîner cette chaîne fraternelle que nous lançons cet appel...
S.O.S. JOURNÉE NATIONALE.
[1] Texte non signé mais formellement identifié Jean Rodhain par Françoise Mallebay.