La charité n’est pas anachronique
"La charité n’est pas anachronique", Brochure de la Journée Nationale 1965, np.
La charité n’est pas anachronique
Rien n’est plus déplaisant qu’un « Bal de Charité ». On danse, on dépense des sommes considérables en réception et en robes. Enfin, tous frais payés, on verse le solde à une œuvre dont le titre couvrira les festivités. De ce luxe, une œuvre reçoit quelques miettes. Où est la Charité en cela ?
Non la Charité n’a rien à voir là dedans, et il faut que ce bal change son titre : il dévaluerait la Charité si elle était une valeur variable.
Mais la Charité n’est pas dévaluable. Elle a une valeur constante.
Charité : certains milieux préféraient que l’on emploie un autre terme, plus adapté, plus moderne, Je réponds que lorsqu’on escamote le mot juste, on escamote l’objet. La vie, la mort, la foi, la charité, sont des termes qui signifient des valeurs constantes que nul n’a le pouvoir de dissimuler.
Le mot est anachronique, dites vous ?
Distinguons : certaines formes de charité sont anachroniques : l’aumône du Xlle siècle est dépassée, le bon de soupe du XIXe est périmé. C’est évident.
Mais le mot Charité est de tous les temps. « La Charité ne passera pas », prophétise saint Paul. Et, si on veut supprimer les mots qui pour le public ont l’air anachroniques, alors faisons un essai.
Prenons la prière la plus connue : l’Angélus. Arrêtons nous à sa première phrase extraite de saint Luc : « Un ange annonça à Marie, et elle conçut du Saint Esprit. »
Un ange ? Quoi de plus anachronique pour nos cerveaux électroniques ?
Une vierge ? Quoi de plus désuet au milieu des vedettes et des films d’aujourd’hui ?
Une conception par l’opération du Saint Esprit ?...
Mais je m’aperçois que chacun des mots de l’Angélus est anachronique par rapport à la mentalité de ce monde. Et si je veux en changer les expressions sans en changer le sens, je m’avoue incapable de trouver des synonymes équivalents pour exprimer la réalité d’un ange, la définition d’une vierge, et ce mystère qu’est l’Incarnation.
Et du même coup, je m’aperçois que ces paroles archi-usées, que ces versets auxquels je suis trop habitué, que cet Angélus devenu routinier, dès que je me donne la peine d’en contempler chaque mot : l’Ange, la Vierge, l’Esprit Saint, me voici obligé de tomber à genoux et d’y reconnaître ces éblouissantes clartés que rien ne nous autorise à dissimuler. Ni à atténuer. Ni à accommoder.
Certes le dialogue, c’est se mettre à la place de l’autre quand je dialogue avec un bouddhiste, je dois essayer de me mettre à la place de ce bouddhiste.
Mais, ici, c’est le Seigneur qui dialogue avec nous. Et pour dialoguer, Il pose en pleine lumière : l’Ange, la Vierge, et le Saint Esprit...
Cette scène de l’Angélus sera, au cours des siècles, traduite en fresques dans l’ombre des Catacombes ou en mosaïques au chœur des basiliques byzantines. Elle sera présentée différemment, lorsqu’elle sera gravée sur bois ou sur cuivre. Mais la réalité de l’Annonce faite à Marie reste inchangée. La réalité n’est jamais anachronique.
La Charité au service du prochain est une autre réalité, une inchangeable réalité.
Cette Charité est un mystère, car si elle sert le prochain, elle s’enracine d’abord dans le Christ. Et en servant le plus pauvre, elle reconnaît en lui, mystérieusement présent, le même Seigneur. Mais ces liens mystérieux se nouent sur des réalités concrètes.
C’est par le lavement des pieds que commence la Passion au soir du Jeudi Saint, avant même le pain consacré.
Et c’est sur ce service qu’au dernier jour nous serons jugés : « J’ai eu faim, et vous M’avez donné à manger. »
En 1965, il ne s’agit plus de s’agenouiller devant le voya¬geur avec un linge et de l’eau. Nous savons que « celui qui a faim » n’est plus un individu, mais un cortège de nations nombreuses et surpeuplées.
Au service de ce prochain innombrable, les Institutions charitables modernes sont multiples et multiformes. A ceux qui s’interrogeraient sur leur opportunité, une voix répond : « Nous voulons donner à nos Institutions caritatives un nouveau développement contre la faim dans le monde et en faveur de ses principaux besoins : c’est ainsi, et pas autre¬ment, qu’on construit la paix ».
Cette voix est celle de S.S. Paul VI. Et pour affirmer sa volonté, ce Pape ne prononce pas cette phrase en secret : il choisit la tribune des Nations. Cette proclamation sur le développement des Institutions charitables figure dans la conclusion du discours pontifical à l’O.N.U.
Les activités caritatives cherchent à s’adapter aux besoins et aux formes de ce monde actuel. C’est un travail considérable à réaliser. Un immense chantier s’ouvre actuellement. La Charité n’est pas anachronique : elle reste d’actualité.