Le carnet de Sidoine
Jean RODHAIN, « Le carnet de Sidoine », Messages du Secours Catholique, n° 152, mai 1965, p. 2.
Le carnet de Sidoine
A son tour Sidoine pose deux questions :
1° Fête des Mères
Chaque fois qu'un tapis de mille bombes détruit une route au Vietnam, cela fait combien de centaines de mères de familles vietnamiennes massacrées dans les rizières autour ? Pourquoi tous les journaux (je dis : tous), en publiant les communiqués de ces bombardements massifs, ne font-ils jamais (je dis : jamais) allusion aux milliers de victimes civiles (je dit : civiles).
2° Il n’a pas que les chiens
Je lis
« Ici, le ravitaillement est parfait. Il ne s’écoule pas cinq minutes sans qu’on nous offre limonades, saucisses, café, sandwiches, pastèques, bouillons et tortillas fortement épicés.
Nous dévorons tout cela tout simplement pour passer le temps. Pourtant, le déjeuner nous trouve affamés, comme si nous n’avions rien mangé depuis des semaines.
Les longues tables de bois grossier dressées sous trois immenses toiles de tente au bord du terrain de golf évoquent alors un festin breughelien.
C'est ici que nous nous retrouvons tous, en compagnie de tous les chiens abandonnés de la province de Morelb.
Il n'y a pas que les chiens : il y a aussi des hordes d'enfants - apparemment tout aussi abandonnés que les bêtes - qui contemplent chacune des bouchées que nous avalons avec des yeux brillants de convoitise. Nous leur jetons des cuisses de poulet et des poignées de salade russe. Ils se disputent farouchement ce qui n'a pas été happé au passage par les chiens. Nous leur distribuons avec prédilection les desserts que nous n'aimons guère - des glaces d’un rouge ou d'un vert criard, ou encore des flans tremblotants - en nous berçant du secret espoir que ces mets auxquels ils ne sont pas habitués leur donneront la dysenterie et qu'ils resteront chez eux pendant quelques jours.
Mais ils viennent toujours aussi nombreux. Ils apportent même les bébés, assis à califourchon sur le dos des aînés.
Brigitte Bardot et Jeanne Moreau conservent un calme admirable. Tout ce tohu-bohu semble même réjouir Brigitte. Son humeur est au beau fixe. »
Cette description de cet empifrement au Mexique date sans doute du XVII° siècle, époque où d'affreux colonialistes jetaient aux enfants indigènes et- aux chiens les restes du repas.
Non pas bonnes gens, Il s’agit de Brigitte Bardot et de quelques Idoles adorées des Français de 1965. Et ce sont des Français anesthésiés jusqu'au fond du cœur par les sorciers de la télévision qui ont avalé sans broncher les lignes ci-dessus dons un grand journal du soir du 20 avril 1965.
On foudroie tes colonialistes barbares de grand-papa.
Mais dans trente ans, quand vos petits-enfants liront ces récits de 1965, comment vous jugeront-ils ?
Vous payez combien une place de cinéma pour voir cette demoiselle Bardot, protectrice des chiens, qui, devant ces enfants mourant de faim, « conserve un calme admirable » ? Si le prix de cette place de cinéma vous le réserviez pour une fois à ceux auxquels des Français « jettent des os ».
SIDOINE.