Le chien, l'âne, et le boeuf
Jean RODHAIN, « Le chien, l'âne et le bœuf », Messages du Secours Catholique, n° 158, décembre 1965, p. 1.
Le chien, l'âne, et le bœuf.
Voici donc Belle et Sébastien. Ils nous ont fait l'honneur d'une visite. Je ne révèlerai rien de notre entretien, car le chien surtout m'a fait de très longues confidences.
Mais cette conversation avec cet ami à quatre pattes m'a fait rêver.
J'ai rêvé qu'ayant changé la date de l'Incarnation Notre Seigneur Jésus-Christ est venu au monde en 1965, dans une de nos maternités modernes. Photo de presse, le berceau correct. Reportage. Hygiène. Pas de mouches. Et comme crèche, un boxe modeste pour famille populaire. Infirmière attentive. Et je vois Saint Joseph sagement assis sur le tabouret en inox. Mais, un chien jappant dans cette antisepsie, non, vous n’y pensez pas ?
A moins que n'ayant pas trouvé de place à la Maternité de la Chambre Syndicale des Charpentiers, ils aient dû se réfugier dans le bidonville de Nanterre, et que cette Nativité ait eu lieu en ce Décembre 1965 dans une roulotte de forains. Alors, dans ce décor de rêve j'aperçois un bon berger allemand au regard tout humide, un bon chien qui laisse entrer sans rien dire l'assistante sociale venant enquêter sur cette maternité en ce lieu imprévu...
Entrez dans un musée. Regardez le tableau des Noces de Cana, par Véronèse : au premier plan, il y a un épagneul qui se pourlèche. Examinez cette gravure d'époque sur le Concile de Trente : entre les tribunes des cardinaux, il y a trois caniches qui gambadent.
Faites l'expérience : comptez les chiens dans les tableaux anciens : il y en a partout. Par contre, dans les tableaux modernes, plus de chiens. Il y aurait une belle thèse à travailler sur la cécité de nos peintres actuels qui ne daignent plus regarder les animaux.
J’entre seul dans un café. Je suis servi par un jargon maussade (moi aussi, je le suis). Le café est bien chaud. Le public est froid. Chacun calcule le tiercé. Je ressors. Pas un mot.
J'entre au café mais avec mon chien. Le garçon me demande l'âge de mon chien. Il a un bon sourire (le garçon, pas le chien). La caissière me déclare qu'elle en a un de la même race. Mon voisin de table lui offre un sucre (au chien, pas à la caissière). Je sors à regret du café : mon chien muet a été un « public-relation » de premier ordre.
J'aime que dans les crèches de Noël, de chaque côté de l'Enfant-Dieu, il y ait eu cet âne ignare et ce bœuf muet.
J'aime ces bergers qui arrivent avec un agneau dans les bras.
J'aime que les Mages - même si ce n'est pas très sûr - s'avancent vers Bethléem sur de grands chameaux.
Chez nous en Lorraine, au retour de la Messe de réveillon, toute la famille se rend à l'étable. En souvenir de l’âne et du bœuf, on distribue un banquet d'avoine à tous les quadrupèdes réveillés. Ils vous regardent étonnés. Mais avec un regard qui en dit long. Et je crois même qu’ils comprennent mieux le Mystère de cette nuit que certains des réveillonneurs à deux pattes des Champs-Elysées.
Parce que dans leurs silences, les bêtes, ces créatures du Bon Dieu sont comme les enfants.
Elles savent - comme les enfants - nous faire deviner que l'évènement survenu une certaine nuit, en Bethléem, est un grand Mystère. Un Mystère qui réclame de nous, les humains, un peu de silence....
Bon Noël.
J. R.