Vietnam
Jean RODHAIN, « Vietnam », Messages du Secours Catholique, n° 158, décembre 1965, p. 2.
Vietnam
Lettres reçues.
Ils arrivent par milliers les chèques bancaires ou postaux destinés à secourir les réfugiés du Vietnam. La plupart sont accompagnés d’un texte ou d’une phrase d’encouragement.
Par contre, des lettres de blâme sont parvenues au nombre de six, ce qui en porte le total depuis deux mois à 19.
La majorité de ces lettres indique une angoisse de conscience éminemment respectable. Elles se basent sur le raisonnement suivant : « Une victoire du Nord aboutirait à l’établissement d’une dictature athée et à la disparition de toute civilisation chrétienne. Elle serait l’origine de millions de morts. Pour éviter ce massacre d’après-demain, ne vaut-il pas mieux sacrifier aujourd’hui quelques milliers de vivants ? » Cette thèse a été présentée avec beaucoup de sérénité dans la France Catholique du 12 novembre, sous la signature de Jean de Ziegler, sous le titre :
« Cette guerre du Vietnam que les Américains veulent gagner », avec trois sous-titres : « Les résultats sont-ils probants ? Les moyens sont-ils licites ? Les buts sont-ils possibles ? »
Si j’étais un prince responsable de la guerre, j’aimerais, avant d’appliquer les conséquences terrifiantes d’un tel raisonnement, relire l’Évangile, relire les Encycliques et consulter le Saint-Siège. Il me semble qu’un Pape a voulu - pour la première fois dans l’histoire du monde - se rendre à l’O.N.U. pour exactement et clairement répondre à cette question...
Si toute la civilisation du Christ avait dépendu d’une victoire militaire quelque part, je pense que le Pape, défenseur de la civilisation du Christ, aurait imité Pierre l’Ermite et appelé les Nations à guerroyer pour la victoire de la chrétienté. Y a-t-il dans son discours à l’O.N.U. un chapitre, un paragraphe, ou une seule phrase dans ce sens... Je pose la question.
Et n’étant pas chargé de prouver la légitimité d’une guerre, dont 70 % des victimes sont de part et d’autre des civils, je reprends mon rôle qui est de secourir les femmes et les enfants, victimes au Sud et au Nord Vietnam de cette guerre actuelle, et je quête pour eux, et j’alimente cette noria de secours vers ces victimes.
On s’indigne des silences de 1942 ou 1943, je crois qu’en 1967 ou 1968 quand, les Européens réaliseront le chiffre total des femmes et des enfants massacrés au Vietnam en ce temps de Noël 1965, on comprendra alors que je me refuse à garder le silence sur ces victimes innocentes...
J. R.