Critiqueurs et contradicteurs
Jean RODHAIN, « Critiqueurs et contradicteurs », Documents-Secours, n° 17, décembre 1966, p. 3-4.
Critiqueurs et contradicteurs
On me demande si le Secours Catholique rencontre des opposants. Je réponds en distinguant deux catégories qui me semblent différentes. Primo, ceux qui critiquent le travail. Secundo, ceux qui contredisent les principes.
Primo : Ceux qui critiquent le travail
Ceux-ci sont indispensables pour nous aider à voir clair. Sans eux, pour nous c'est l'aveuglement pour aujourd'hui et la chute dans l'ornière pour demain.
Ils nous rendent service. Et je m'explique par des exemples vécus.
Si l'on critique la qualité de l'accueil, vérifions pourquoi. Est-ce que la porte de la permanence est trop souvent fermée ? Est-ce que tel donateur n'a pas entrevu son colis traînant encore sous la table, trois mois après l'avoir apporté ? Dans ce cas, voilà une belle occasion de « révision de vie » pour le Comité à sa prochaine séance.
Si on critique notre passivité vis-à-vis des bidonvilles ou notre absence aux réunions locales pour l'accueil des étrangers, examinons si la critique est justifiée. Et vérifions si les heures consacrées au vestiaire ne finissent pas par nous absorber en entier. Et si, en mobilisant pour ce vestiaire quelques diaconesses couturières, nous ne pourrions pas revenir à notre travail d'animation charitable dans les autres secteurs de misère.
Si on nous accuse d'être enfermés dans la ville épiscopale, vérifions la composition du Comité diocésain et profitons de cette critique pour inviter réellement au Comité quelques représentants des zones éloignées.
On vérifie la qualité du beurre sortant de la laiterie. Et on prévient l'automobiliste dont la portière est mal fermée. Pourquoi pas, quand il s'agit de la précieuse Charité, accepter et souhaiter ces vérifications, même si la tête de la vérificatrice ne nous revient pas ? Ces critiques sur le travail sont utiles pour nous tous.
Secundo : Ceux qui contredisent les principes
Ceux-là sont hostiles à l'exercice même de la Charité.
Je les appelle les Frelons de la précaution. Ils ont pour grand-père l'abbé Bethléem[1]. Dès que l'abbé Bethléem, en 1920, trouvait dans un roman le mot « amour », il multipliait les pancartes avertissant du danger et les indications montrant les déviations possibles.
L'abbé Bethléem est mort et ses successeurs frétillent de joie, au contraire, devant les livres de sexologie à haute dose. Mais si l'amour ne leur fait plus peur, toute leur suspicion a été reportée sur un autre mot : Charité.
Dès que ces Frelons aperçoivent le mot « Charité », ils annoncent les dangers possibles de paternalisme et ils multiplient les avertissements pour sauvegarder la justice sociale et la dignité de la personne humaine. Ce sont là des notions fort respectables, en effet. Mais ces Frelons en fabriquent des pancartes et des paravents, comme si la Charité toute nue était, au spirituel, autant cause d'impudeur que l'amour peut l'être au charnel. Devant la fécondité de la Charité, ces Frelons précautionneux pensent « pilule ». Cette frelonnerie s'envolera bientôt devant le flux des réacteurs post-conciliaires. Aucune importance.
Aucune importance, car le temps de réfuter les objections est passé. Le texte de S. Exc. Mgr Garrone (Brochure du 20 novembre 1966, page 5) proclame que la Charité authentique est incompatible avec ces déformations de la Charité.
Conclusion : Travaillons.
Quand je veux aller de Paris à Brest, je ne passe pas trois jours à lire des traités sur la nature des rails, ou des études sur les déformations possibles des voies de chemin de fer. Non, je prends le train, tout simplement.
Relisons saint Vincent de Paul. Il discute fort peu. Et quand il y a trop d'objections, il se présente aux contradicteurs avec sur ses bras un enfant abandonné. Les cris du bébé sont sa conclusion.
Faisons de même.
Travaillons.
Bonne année !
Mgr Jean RODHAIN.
[1] Ces petits-enfants ne sont que la caricature de leur grand-père. L'abbé Bethléem n'avait rien d'un frelon. Et ses analyses et ses mises en garde ont à son époque rendu des services véritables. Il semble que, dans le domaine de la critique courageuse, il n'ait pas actuellement de successeur. J. R.