L’eau vive
Jean RODHAIN, « L'eau vive », Messages du Secours Catholique, n° 163, mai 1966, p. 1.[1]
L’eau vive
Parler sans cesse d'activité charitable, évaluer les besoins des sinistrés, tenir compte des structures, chercher à résoudre le « cas », discuter avec ceux qui ne sont pas d'accord sur cette forme d'action, calculer comment équilibrer les secours et les dons, cela prend du temps.
Cela finit par prendre tout le temps et par entrer dans le cœur et peu à peu le remplir.
Un cœur ainsi rempli est lourd. Il pèse. Il déborde. Il donne ce dont il est plein : c'est-à-dire qu'il déverse sur les autres le poids de ses soucis, complété d'un grain de sollicitude. Mais cela sent l'humain à plein nez, et cela ne rayonne plus guère de la joie de Celui qui est la seule source de toute véritable charité.
Source, et seule source existante. Comme le cerf altéré reconnaît le seul lieu du rafraîchissement, ainsi le cœur desséché regarde enfin vers le puits de l'eau vive.
Qu'Il me donne de cette eau, le Seigneur, car sans elle je ne suis que soucis et longue aridité.
1. Dans le creux de Sa main je ne suis que poussière,
tandis qu'Il tient mes jours comptés.
Je ne suis que faiblesse, tandis que Son bras fait gronder la mer
en même temps qu'Il soutient l'oiseau dans le ciel
et habille le lys dans la vallée.
2. Il commande au soleil. Il commande à l'atome.
Chaque étoile Il l'appelle par son nom,
et chacun des hommes par son prénom,
car Il est adorable en son règne, l'Eternel.
3. Il parle dans le secret et à sa parole les cœurs brisés entendent,
Il sait le front fermé et la faute cachée.
Il sait le chemin secret, pour dans l'âme la plus amère, entrer.
Il le sait, et Il attend.
4. Il attend, car pour Lui mille ans sont comme un jour.
Le Pharaon est loin dans les temps, mais pour tout fils d'Abraham, Il est présent ce matin à chacun de ses pas, à chacun de ses soupirs. Il déjoue les plans des nations assemblées, mais pas un cheveu ne tombe qu'Il ne l'ait décidé.
5. Car si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain les bâtisseurs bâtiront. Si le Seigneur ne donne la moisson, en vain les laboureurs laboureront.
Sans Lui toute branche est morte et tout fruit reste sec.
Il est la fraîcheur du puits en plein été.
Il est la sève de tout arbre et la vie de toute vigne.
6. Il a fait le ciel et la terre entière, et Il se rit des idoles de nos jours. Hors de Lui le figuier se dessèche, et le cœur aussi, exactement comme le figuier.
Il est la fontaine cachée, et pour la Samaritaine chaque jour,
Il est l'eau vive de toute Charité.
7. Puisque je ne suis qu'un cœur trop lourd de son aridité, parce que le puits est profond, parce que je n'ai rien pour puiser, donne-moi de cette eau-là, Seigneur, par pitié.
J.R.
Au-dessus de la baie de Rio, à bord du Boeing AF 082
[1] Réédité dans : Jean RODHAIN, Charité à géométrie variable, Paris, SOS / Desclée de Brouwer, 1969, p. 279-281.