Jean RODHAIN, « L'exode de ces petites gens », Messages du Secours Catholique, n° 167, octobre 1966, p. 8.

L'exode de ces petites gens

La mine fermera l'an prochain. Il faut partir ailleurs : on sera « reclassé » dans une zone industrielle avec une indemnité pour le jardin abandonné.

L'usine se « décentralise ». Le Conseil d’Administration laisse prévoir que les ingénieurs partiront les premiers.

Dans l'économie planifiée ces déménagements sont prévus et organisés pour les cadres et pour les techniciens. Ils retrouveront un garage pour leur voiture et un lycée pour leur progéniture.

Et nous lirons un élogieux reportage sur la firme qui a réussi cette impeccable implantation dans un cadre incomparable (avec une page en couleur sur les beautés) de l'usine transplantée.

Cela sera étincelant comme ces trains de neige, célébrés par les agences.

Devant ces réclames confortables, moi je compte ces millions de gens qui n'ont ni train, ni neige, mais l'esclavage du travail quotidien.

Et je compte, aussi ces bateaux d'émigrés, ces trains de réfugiés qui, en 1966, sans aucune économie planifiée, sans aucune réclame voguent et roulent d'Istanbul à Hambourg, d'Alger à Bruxelles, du Havre à Rio avec ces millions de travailleurs en quête de travail.

Et chacun avec sa famille sur la route avec lui

Voilà l'exode perpétuel des petits et des humbles. Un exode qui dure depuis la nuit des temps, un exode qui a peuplé des continents, un exode dont on parle dans les livres d'histoire.

Un exode dont aujourd'hui on ne parle pas et qui cependant pour les 30 dernières années a transplanté plus de familles que les Croisades ou les Invasions.

On n'en parle pas.

Et c'est pourquoi ici on va en parler, tout au long des pages de ce Messages.

En souvenir d'une famille sans passeport, émigrant vers l'Égypte avec Joseph Charpentier, et notre Dame Marie et cet Enfant, réfugié, Lui aussi.

Mgr. Jean RODHAIN

Secrétaire général du Secours Catholique