Vingt ans après
Jean RODHAIN, « Vingt ans après », Messages du Secours Catholique, n° 166 bis, septembre 1966, p. 4.
Vingt ans après
Vous avez vingt ans. Quelle joie d'avoir vingt ans. C'est encore la jeunesse, avec déjà la maturité commencée.
- Vous êtes une famille qui compte aujourd'hui plus de 800.000 membres. Mais vous savez bien comment, il y a vingt ans, cela a commencé petitement.
- Oui, il y a vingt ans, c'était la naissance du Secours Catholique. A Lourdes 80.000 prisonniers étaient rassemblés. Beaucoup réclamaient la création d'une « Fédération Catholique des Anciens Prisonniers ». L'Aumônerie Générale a refusé de créer un mouvement « commémoratif ». Elle a dit : « Oubliez vos stalags et intégrez-vous dans la vie véritable, celle de votre famille, de votre profession, de votre cité ». Et l'Aumônerie des Prisonniers et Déportés fermait ses portes solennellement, le 8 septembre 1946.
Le même jour, elle s'adressait à ses anciens comités locaux, et à ses réseaux clandestins qui, de 40 à 44, avaient alimenté les camps, ou animé les Missions Vaticanes de Dachau et de Mathausen. Le même jour l'Épiscopat donnait à ce nouveau Secours Catholique des statuts le chargeant de coordonner l'Action Charitable, et aussi, déjà, de préparer une Caritas Internationalis. Ceci devant la Grotte de Lourdes le 8 septembre 1946.
Nous avons donc aujourd'hui vingt ans.
La découverte de Buchenwald, et la morgue de Fréjus, l'exode du Vietnam et celui de Hongrie, les longues heures endeuillées de l'Algérie, et l'inquiétude des premières Cités Secours : nos équipes ont vécu tout cela. Et depuis l'Abbé Giraudet jusqu'à Céline Lhotte, combien sont restés sur la brèche. Et combien travaillent inlassablement en secret auprès des prisons ou des émigrants ? Mais aucun, y ayant une fois goûté, ne voudrait regretter ce service des plus pauvres : ensemble ils ont tissé, jour par jour, nuit par nuit, ce réseau d'aujourd'hui qui n'a pas de nom, et qui n'a pas de prix.
Si des amis, par milliers, sont venus nous aider, si plus de 82 pays ont aujourd'hui leur « Secours Catholique » affilié à la Caritas Internationalis, aucun de nous n'a envie de chercher un fondateur, ni de chiffrer un bilan : nous sommes comme ces pêcheurs du lac de Tibériade si étonnés d'être restés longtemps avec leurs filets vides, et si éblouis de deviner enfin que « si deux ou trois sont réunis en Son Nom, Il est au milieu d'eux ».
On avait cru que cette présence du Seigneur était réservée aux chapelles, et aux cathédrales.
On a découvert que, lorsque la barque est chargée des plus pauvres, de ceux dont le monde ne veut plus, parce qu'ils sortent de prison, ou parce qu'ils ont tout perdu, alors dans la barque il y a cette Présence là.
On a entendu le Concile proclamer, l'heure arrivée de la Charité au service des pauvres dans l'Église.
On l'a mieux compris justement parce qu'on a vingt ans : c'est l'âge de la jeunesse avec déjà la maturité commencée. Une jeunesse qui fait deviner la Présence de Celui sans qui toute barque chavire. Une maturité qui saisit mieux les problèmes immenses de la misère, du développement, et des activités charitables réclamant des diacres adaptés à l'an 2000.
Le Secours Catholique a commencé l’année de son XX° anniversaire à Lourdes, entouré de l’amitié de 70.000 prisonniers et déportés.
Avec lui vous avez vingt ans, chers amis de partout, réjouissez-vous
Jean RODHAIN