Jean RODHAIN, « Expliquez-moi donc ! », Messages du Secours Catholique, n° 176, juillet-août 1967, p. 9.

Expliquez-moi donc !

par Mgr Jean RODHAIN

Président de Caritas Internationalis

Quel magnifique et paisible programme que cette Encyclique sur le Développement des Peuples ! Dans les perspectives optimistes du Concile, quelle joie de vivre à l'heure où se construit cette Jérusalem nouvelle, signe d'une humanité qui, en vingt ans, réalise plus de progrès qu'en vingt siècles !

Quelle joie d'entendre chanter l'heure de la Justice et de la Paix !

Et quel coup au cœur de voir ce chant interrompu dès le premier couplet par les bombes, le napalm et la guerre ! Ces peuples, qui ont faim, engloutissent des milliards pour leurs avions de chasse, et au lieu de cultiver leur terre, ils l'arrosent de sang.

Expliquez-moi donc cela...

Quelle magnifique et paisible vision que ce chef de famille arrivant à l'âge adulte ! Un foyer modèle avec huit enfants radieux. Une entreprise réussie qui donne à cet homme, dans sa profession, une autorité exemplaire. Un crédit moral dépassant le plan régional, si bien qu’on devine, pour demain, un accès tout préparé aux plus hautes destinées dans la nation.

Quelle joie de rencontrer une âme aussi rayonnante !

Et quel coup, ce soir, d'entrer dans la chambre d'hôpital où l'accident de voiture vient de réduire ce cerveau à des limites pour toujours infantiles !

Expliquez-moi donc cela...

Quelle magnifique et paisible stature que celle de ce théologien du Concile ! Sa doctrine était sûre. Ses conseils étayés de références impeccables l'avaient conduit au premier rang des fonctions de confiance. On murmurait son nom pour des promotions éclatantes.

Quelle joie de converser une heure avec un homme de cette compétence.

Quel coup au cœur lorsqu'un matin ce religieux si célèbre réunit une conférence de presse pour annoncer qu'il quitte l’Église, et qu'il blâme l’Église, et qu'il se marie civilement avec sa secrétaire.

Expliquez-moi donc cela...

« Il est venu en ce monde, et le monde ne l’a pas reçu. »

Des chrétiens, au lieu de prier, discutent sur les langages de la prière.

Des chrétiens, au lieu d’adorer, discutaillent sur l’architecture des lieux d’adoration.

Des chrétiens, au lieu de contempler le Dieu vivant, contemplent les techniques et s’abreuvent au petit écran.

Avec dans le cœur le tapage de ce monde, avec dans la tête les gloires de ce monde, des chrétiens, sourds et aveugles, se heurtent à la Tour de Babel et, alors, ils s'écrient stupéfaits : « Expliquez-nous donc... »

Aujourd’hui que paraissent des lueurs d'Apocalypse[1], il est temps, sans rien nier de la science moderne, « de revenir au surnaturalisme radical des François d'Assise, des Jeanne d'Arc, des Curés d'Ars »[2].

Le monde ne peut expliquer ni la guerre, ni la faim, ni le péché.

Rien ne s'explique si on cherche l'explication en dehors du Christ crucifié.

On ne peut comprendre ni l'humanité, ni un seul homme si on oublie la parole du Christ : « J'ai pitié de cette foule... »

On ne peut ni soigner, ni guérir, ni construire, si le Seigneur n'édifie la maison.

Seigneur, donnez-nous, en cette année de la Foi, la foi de Pierre s'écriant : « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ! »

Jérusalem, juin 1967