Sidoine dialogue
Jean RODHAIN, « Sidoine dialogue », Messages du Secours Catholique, n° 173, avril 1967, p. 3.
Sidoine dialogue
Eléonore :
Vous me voyez toute frétillante de joie : je viens de lire dans un périodique estimable que l'Église, jusqu'ici défigurée de tares et d'infirmités, venait cette année d'être miraculeusement et subitement guérie après 20 siècles de paralysie. Et ceci grâce au Concile. Du coup je me suis acheté une minijupe plastifiée, car il faut bien fêter un évènement pareil.
Sidoine, vous n'avez pas été ému, vous aussi, par cet article sensationnel ?
Sidoine :
J'ai été en effet, ému. Mais pas dans le même sens que vous chère Eléonore. Je suis depuis le Concile tout joyeux du rajeunissement de l'Église. Mais les arguments de votre article ressemblent aux pavés de l'ours. Ils sont lourds et aveuglants, ils empêchent de voir clair.
Eléonore :
Mais enfin cet article proclame que désormais l'Église n'est plus autoritaire et que les évêques, travaillant enfin collégialement, vont élire un synode dont les votes seront « comme ceux d'un parlement en régime démocratique ». Ceci est fort clair, Sidoine, et vous ne pouvez rien modifier à des décisions aussi simples.
Sidoine :
Si, je puis regretter que vous résumiez d'une manière aussi simpliste. D'abord l'Église reste - pour l'éternité - chargée d'enseigner avec autorité les paroles de la vie éternelle. Ensuite il aurait suffi à votre auteur de lire le règlement de ce synode, qui se réunira à Rome à l'automne, pour s'apercevoir qu'il ne fonctionnera pas du tout comme un parlement en régime démocratique. Enfin la collégialité des évêques n’a pas éclaté hier soir comme une bombe.
« Nous vivons encore - et heureusement - de la primauté pontificale définie à Vatican I et qui a tant aidé à la solide unité de l’Église autour du Pape : la collégialité des évêques n'aurait pu être enseignée à Vatican II si Vatican I n’avait fortement marqué l'Église de son unité, définitivement signifiée par l'Évêque de Rome, successeur de Pierre »[1].
Eléonore :
Vous n'allez tout de même pas renier le schéma XIII. Mon article prouve que l’Église n’a plus peur du monde, désormais.
Sidoine :
Désormais est de trop. Le schéma XIII précise la présence de l’Église au monde. Pourquoi forcer la note en laissant croire qu'elle fut pendant 20 siècles absente. L’Église venait à peine de naître que Paul travaillait, tantôt au cœur des masses ouvrières de Corinthe, tantôt prenait la parole devant le plus mondain des aéropages à Athènes. Lisez les directives du Pape Grégoire le Grand au moine Augustin lui expliquant la manière, pour l’Église de ce temps, d'être présente parmi les païens d'Angleterre. Visitez les fouilles récentes de Kurnub dans le Néguev qui prouve l'imbrication du monde chrétien et du paganisme[2].
Votre article présente des vérités indiscutables, mais il conduit le lecteur - et la lectrice - à s'imaginer que ces vérités étant tombées du ciel hier soir, avant il n'y avait qu'obscurité et qu'obscurantisme. Je vous croyais, Eléonore, douée d'un peu plus d'esprit critique.
Eléonore :
J'entends avoir l'esprit critique fort éveillé. Et je vous le prouve. Je désavoue la page où mon article simplifie par trop. Il écrit : « Avant le Concile, l’Église avait peur du monde ». Il titre son paragraphe : « Les Evêques dans le camp de la justice ». C’est excessif, mais tout de même mon article se termine en citant un fait significatif. Lisez avec moi :
« Vers les années 30, un Evêque français avait été attaqué devant un tribunal du Vatican par un organisme patronal parce qu'il avait demandé une quête en faveur des familles de grévistes ».
Or les faits sont les faits. Qu'avez-vous à répliquer devant un tel fait ?
Sidoine :
Présenté ainsi, le fait est écrasant pour le Vatican, On devine le Vatican muet, silencieux, atterré, lié au patronat, au capitalisme. C'est vraiment l’Église dans le camp de l’injustice.
Or ce tribunal mis en cause n'a pas été muet. Il a parlé. Il a rendu une sentence en faveur de l'Évêque abusivement attaqué par le patronat. Bien mieux, pour proclamer à la face du monde entier que cette cause était juste, quelques semaines après, cet Evêque, le plus jeune des Evêques français, était promu au cardinalat. Cela fit sensation en tant qu'approbation solennelle. Celui qui fut ainsi approuvé et promu s'appelle le Cardinal Liénart, évêque de Lille.
Pourquoi le cacher ?
Pourquoi parler du tribunal sans mentionner la décision ? Pourquoi évoquer un évêque, mis en accusation, sans préciser que loin d'être condamné il fut promu ? C'est littéralement défigurer l'histoire.
La bonne foi de votre auteur n'est pas en doute, mais quand on a la mémoire courte on achète un manuel d'histoire avant de citer des faits qui, tronqués, deviennent mensongers.
Eléonore :
J’aimerais, Sidoine, que ce dialogue reste entre nous. N'allez surtout pas publier cela. « Messages » est l'organe d'un mouvement de charité Il ne doit pas aborder les questions brûlantes.
Sidoine :
Notre Seigneur n'a fait qu'aborder des questions brûlantes. Sa charité pour la vérité lui faisait prodiguer les invectives les plus violentes pour toutes les erreurs.
Si mon journal annonce que le ciel est bleu alors qu'il pleut à torrent rien ne m'empêchera de conseiller l'emploi d'un parapluie et d'affirmer que mon journal a dit une ânerie.
L'après Concile est une époque merveilleuse à vivre. C'est la diminuer que de l'encadrer par le dénigrement du passé. On prépare humblement l'avenir en rappelant tout ce que nous devons aux apôtres, aux martyrs, aux militants obscurs qui ont préparé notre époque.
[1] Sidoine oublie d'avouer que cette phrase n'est pas de lui. Il l'a copiée textuellement dans un article de Mgr Renard, Evêque de Versailles. (France Catholique 17-3-67, p. 1) N.D.L.R.
[2] Voir Bible et Terre Sainte mars 67, page 5, article sur la présence de l'Église du IIe siècle dans le paganisme oriental.