Vendredi d’hier est mort
Jean RODHAIN, « Vendredi d'hier est mort. Que sera le vendredi de 1968 ? », Messages du Secours Catholique, n° 179, novembre 1967, p. 9.
Vendredi d’hier est mort.
Que sera le vendredi de 1968 ?
Si vous retrouvez dans votre grenier un vieux calendrier de 1912, il peut vous servir en 1968 : les jours et les fêtes de ces années coïncident exactement.
Il n’y a que deux différences : le calendrier 1912 n'a pas la fête du 11 novembre (évidemment) et le calendrier de 1968 n'a plus les petits poissons en face du vendredi. Le maigre du vendredi a disparu.
Chaque vendredi on peut, en 1968, « manger gras »[1]. Les cuisinières en sont ravies. Les marchands de poissons en sont marris. Mais c'est ainsi.
L’Église a remplacé le maigre par la prière et le partage. La prière, c’est connu. Mais le partage, ce n’est pas clair. Partager, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire deux choses :
Primo : Se priver de sa part.
Secundo : Donner sa part.
Primo : Se priver.
Partager un gâteau, ou un paquet de gitanes, ou une audition, cela veut dire ne pas tout conserver pour soi seul, mais faire participer un autre à cette friandise, ou à l’audition de ce disque. On mangera moins de gâteau, ou on s'obligera à inviter celui qui n’a pas de tourne-disque. Le partage entraîne une privation ou une gêne, donc un effort sur soi. Autrefois, le jeûne ou le maigre contraignait, par l’estomac, la volonté. Aujourd’hui, même contrainte, même effort de volonté, mais cela peut porter sur autre chose que sur le choix du plat du jour et l’appel à la générosité personnelle a remplacé l’obligation juridique.
Secundo : Donner sa part.
- Donner à qui ? Le premier prochain est le voisin proche. Il y’a un ordre dans la Charité. Le vieil oncle infirme passe avant l'étranger. L’étranger de ma rue passe avant l’étranger logé à Chicago. Le premier partage doit servir ceux que le Seigneur a placés près de moi. Dans l’Évangile le Seigneur a aimé toute l'humanité, mais les premiers servis ont été les gens de Galilée et de Jérusalem.
Deux mille ans après l’Évangile, l’avion fait que l'Afrique est devenir proche, donc l’Africain est mon prochain, donc je dois aussi, ensuite, servir aujourd’hui ceux qui, il y a 2000 ans, étaient inaccessibles.
- Donner comment ? Le meilleur don, c’est soi-même. Porter sa part au prisonnier ou au paralytique c’est non seulement un colis partagé, c’est une visite, c’est un dialogue, c’est une présence. Les deux y gagnent. Et celui qui visite est souvent celui qui apprend le plus...
Si on n’a pas le temps de faire soi-même le geste du partage, il ne manque pas de mains que déléguera votre cœur. Les Œuvres et les institutions sont nombreuses, à chacun de choisir en toute liberté.
Existe-t-il des « Points de repère » ?
Autrefois (c'est l’an dernier), la cuisinière se chargeait de griller le hareng et on comprenait que c'était vendredi.
En 1968 comment, sans odeur de friture, deviner que c'est le jour du partage ?
Il faut des repères. Si sur mon tableau de bord je n'ai pas de jauge à essence, j’oublie toujours l’instant de faire le plein. Si le vendredi il n'y a pas de signal, j’oublie de partager. Il nous faut chaque vendredi des occasions visibles, perceptibles, palpables, précises, qui rappellent le partage à tous : adultes et enfants. Que proposez-vous ?
Nous proposons donc ce calendrier (voir page suivante) :
Le jour du partage, vendredi, est marqué par un disque bleu.
Les moyens du partage sont évoqués dans le cadre du calendrier (argent, friandises, etc.).
- Le but du partage est suggéré chaque mois dans un rectangle : ceux qui ont froid (novembre). Les lépreux (janvier), etc.
Et ces, intentions mensuelles ne sont pas une invention quelconque. Elles ont été soumises au Souverain Pontife et approuvées par lui pour 1968.
Un matériel pédagogique.
Outre ce calendrier, une équipe a dessiné, sur des napperons en papier, les slogans de ce nouveau vendredi. Elle a aussi composé des pochettes à serviettes, en papier. Elles sont à double déclenchement : sur la couverture, on souhaite bon appétit pour tous les jours de la semaine. Mais il manque un jour à cette semaine. On ouvre et on trouve à l’intérieur le vendredi avec le mot « partageons ». Ça ne vous coupe pas tout à fait l’appétit. Mais c'est un signe ou, si vous préférez, un signal...
Ce matériel pédagogique, destiné aux écoles, catéchismes, etc., est, lui aussi, gratuit. Vous le trouverez dans toutes les délégations du Secours Catholique. Ou bien écrivez à : S.O.S., 106, rue du Bac - Paris-7°.
Un calendrier, des signes imprimés, est-ce que la religion d’après le Concile ne devrait pas être si intérieure et si profonde qu’elle puisse se passer de ces détails fort terre à terre ?
Je vous répliquerai que pour le plus céleste des Mystères : la Rédemption, la Trinité a voulu une croix en bois et quatre clous en fer et une lance et une éponge et du vinaigre. Et que ces signes concrets du Mystère rédempteur ont marqué le Vendredi saint et tous les vendredis de tous les calendriers. Alors je crois aux signes, même en 1968.
Bonne année !
SIDOINE.
[1] Attention - il reste encore sept vendredis maigres en 1968. 1er, 8, 15, 22, 29 mars, 5 avril : Carême. Et le 12 avril : Vendredi saint.