Comme la foudre
Jean RODHAIN, « Comme la foudre », Messages du Secours Catholique, n° 186, juin 1968, p. 4.
Comme la foudre
Comme la foudre éclatant dans un ciel que l’on croyait sans nuages, les « évènements » ont illuminé tout d’un coup une partie de ces pauvretés ignorées sur lesquelles, depuis vingt ans, le Secours Catholique essaye d’attirer l'attention.
Ces événements sont des signes pour demain. Au milieu d’un monde tout orienté vers la consommation, et oublieux de la condition des plus pauvres, l’élan de certains jeunes vers des valeurs plus sérieuses, une réflexion en commun, une négociation pour une plus grande justice sont des faits heureusement significatifs. Révélées par les événements, de justes aspirations peuvent conduire la communauté tout entière à une plus grande attention aux problèmes des plus pauvres. C’est un pas en avant vers cet idéal proposé par le Concile Vatican II : « ... un nouvel humanisme dans lequel l’homme se définit avant tout par la responsabilité qu’il assume envers ses frères et devant l'histoire ». (Gaudium et Spes, 55) .
Mais ceci à certaines conditions.
1. - Ecouter
Dans une période de transformation brusque, il ne suffit pas d'être attentif à ceux qui revendiquent hautement. Il faut savoir écouter aussi ceux qui n’ont pas la parole. Ceux qui n’ont pas la parole parce qu’ils ne sont pas organisés ni équipés techniquement. Ceux qui n’ont pas la parole parce que leur pauvreté discrète les empêchera d'utiliser les méthodes d’interpellation ou d’intimidation.
Les vieillards, les handicapés, et tant de familles éprouvées ne sont pas appelées à siéger dans les délibérations publiques. Le Secours Catholique est partout à l’écoute de ces millions de gens trop silencieux, et, avec d’autres organismes, il est, pendant ces évènements, intervenu vigoureusement pour ceux-ci. « Parler au nom de tous les pauvres gens qui n’ont pas la parole, C’est une véritable action charitable. »
2. - Calculer
Calculer qui paiera la facture finale : car ce sont toujours les plus pauvres qui paient pendant et après les évènements.
- L'arrêt des services publics, le blocage des chèques postaux, la fermeture des bureaux de paiement, l’obligation de longs trajets à pied n’atteignent pas du tout les puissants de ce monde : ce sont des millions de petites gens qui pâtissent pendant les évènements. Et à ces millions de silencieux, ce monde aveugle ne prête même pas attention.
- Mais le plus grave se réalise après chaque évènement. Un progrès est comme un bulldozer : il s’avance efficacement mais balaie vers le bas du talus, comme de vulgaires fourmis, une foule de petites gens qui n’ont ni la force ni la possibilité de s’adapter. C’est la rançon classique des grandes mutations sociales. Les cas sociaux se multiplient après chaque évolution, après chaque révolution. Ils les précipitent aussi...
3. - Faire face
Sur le plan mondial, ce sont aussi les plus pauvres, donc les pays du Tiers-Monde qui pâtiront de ces évènements. L’aide officielle de la France pourra-t-elle se maintenir, et l’aide privée saura-t-elle surmonter le choc des évènements ? Ce sera un problème de demain.
Si aujourd’hui le Secours Catholique lance un appel, son but premier n’est pas une collecte d’argent : il appelle à regarder en face cette multiplication des cas sociaux afin que, localement, sur le plan du quartier, la communauté soit davantage attentive à les prendre en charge.
C'est seulement en second lieu que l’appel sollicite les ressources nécessaires[1] pour, en union avec les œuvres privées, et en collaboration avec les Services compétents, faire face immédiatement à tant de situations dramatiques.
Une Charité attentive aujourd’hui, prépare l’éveil d’une justice sociale plus adaptée demain. La foudre est aveuglante ; la Charité doit rester clairvoyante...
J.R.
[1] C.C.P. Paris 56.620.09 « Suite évènements »