Le carnet de Sidoine. Sidoine répond aux lecteurs
Jean RODHAIN, « Le carnet de Sidoine : Sidoine répond aux lecteurs », Messages du Secours Catholique, n° 184, avril 1968, p. 2.
Le carnet de Sidoine
Sidoine répond aux lecteurs
Une lettre
Etant venu voir ma tante malade à Paris, j’en ai profité pour visiter le S.O.S., 106, rue du Bac. J’ai été choqué par le matériel : machines à écrire, téléphones, etc., et aussi par le personnel qui travaille et, est probablement salarié. J’ai moi-même un budget modeste et je pense que l’on devrait faire la Charité sans aucun frais. Et quand je verse 100 F pour le lait des enfants de Jérusalem j’exige que ces 100 F parviennent intégralement aux enfants.
M. L.-C., NICE.
Réponse :
Cher Monsieur,
En quelques lignes vous touchez à plusieurs questions qui préoccupent souvent certains de nos lecteurs. Aussi je vous remercie de l’occasion que vous me donnez d’aborder ces problèmes. Je vais essayer de répondre aux trois points que vous évoquez.
Primo : Les frais sont inévitables
Vous avez, cher Monsieur, fait un acte de Charité en venant à Paris visiter votre tante malade. Depuis Nice, un billet de 2ème classe A et R coûte 183,80 F. Vous avez donc, malgré votre budget modeste fait - pour cet acte de Charité - une dépense considérable. Vous avez utilisé - pour voir votre tante - une locomotive S.N.C.F. BB 823 qui est un matériel coûteux et vous avez payé une partie des salaires du conducteur, du contrôleur, du poinçonneur, de l’aiguilleur et des dactylos de la S.N.C.F. Cela fait donc, rien que pour le transport, plus de 18.000 anciens francs de frais.
Vous n’avez pas pu visiter votre parente sans frais. Et même pour m’écrire une lettre de protestation, vous acceptez de payer à l’État les frais de P.T.T. en achetant un timbre de 0.30 F. Il y a toujours des frais. C’est vrai pour vous. C’est vrai aussi pour nous : ainsi pour les enfants de Jérusalem, le billet de 100 F que vous envoyez, comment servira-t-il ? Je vais vous répondre ; on réduira les frais le plus possible, mais le lait ne tombe pas du ciel comme la pluie. Quand vous achetez chez votre épicier une boîte de lait, vous payez aussi le fer blanc de la boîte et le salaire des ouvriers qui ont soudé la boîte et camionné la caisse.
Vous payez les frais. Nous aussi. Et ces frais pour livrer ces boîtes de lait à Jérusalem sont plus lourds que pour les livrer chez votre crémier de Nice.
Secondo : Il faut aussi du personnel spécialisé donc salarié
Le Secours Catholique est une immense fourmilière. Le visiteur - bénévole - a appris du prisonnier que sa fille était hospitalisée. La déléguée - bénévole - aux malades étant allée aussitôt la visiter va passer trois après-midi à faire les démarches aux Allocations familiales que le prisonnier ne peut pas faire. Et la dame du vestiaire - bénévole - préparera le costume repassé pour que le prisonnier libéré puisse se présenter correctement devant son futur employeur.
Il y a ainsi un fourmillement bénévole dans 25.000 paroisses françaises. Et c’est pourquoi le bilan financier de ce bénévolat est inchiffrable. Et c’est cela l’essentiel du S.O.S.
Mais il faut aussi des spécialistes.
Je vous invite à visiter la Cité-Secours Notre-Dame, 6, rue de la Comète à Paris. Téléphonez à 705-94-38, prenez rendez-vous et on se fera un plaisir de tout vous montrer. Vous y verrez un personnel bénévole qui tous les soirs vient accueillir les arrivants et servir à table. Chacun donne deux ou trois heures par mois et grâce à ce roulement de ceux qui peuvent sacrifier une soirée de temps en temps le service du réfectoire est assuré avec gratuité et gentillesse. Mais ceci n’est qu’un complément.
Mais la maison ne tournerait pas sans les spécialistes aux postes clefs !
Pour faire la cuisine de 250 personnes pouvez-vous m’indiquer un cuisinier bénévole disponible régulièrement toute l’année ? Pour étudier les dossiers des émigrants pouvez-vous m’indiquer une assistante sociale polyglotte bénévole acceptant un travail continu ?
Pour faire face toutes les nuits aux multiples incidents d’une maison de ce genre pouvez-vous m’indiquer un responsable qui accepterait - bénévolement - de tenir un pareil poste avec continuité ?
Supposons un instant que pour toutes ces spécialités, je trouve miraculeusement des gens assez compétents n’ayant ni enfants à faire vivre, ni pain à gagner et acceptant un travail de spécialiste à temps complet, cela sera économique et séduisant la première année. Mais que se passera-t-il le jour de l’accident imprévu, et lorsque la maladie arrivera que deviendront les non-salariés sans Sécurité Sociale. Un travail régulier de charité exige d’abord le respect de la justice sociale.
Tertio : l’équilibre est difficile
Vous trouvez que nous avons trop de téléphones ? Hier un lecteur a protesté parce qu’ayant téléphoné avant l’ouverture des bureaux la téléphoniste n’était pas à son poste...
Nous recevons plus de 100.000 lettres par an. Comment y répondre sans machine à écrire ?
Nous avons 850.000 adhérents. Comment tenir leurs adresses à jour sans matériel adapté ?
C’est le minimum.
Au-delà de ce minimum, il y a un réel danger d’entasser des mécaniques et d’ajouter des bureaux. C’est le péril de toute administration.
Les aimables avertissements de nos lecteurs nous éviteront ce péril. Votre lettre nous rend service. Complétez votre lettre par une visite. Nous vous attendons, cher Monsieur : le S.O.S. vous invite...
SIDOINE.