Nigéria-Biafra : Crier pour la paix
Jean RODHAIN, « Nigéria-Biafra : Crier pour la paix », La Croix, 23 juillet 1968.
Nigéria-Biafra - Crier pour la paix
Par Mgr Jean Rodhain
président de Caritas Internationalis.
On nous félicite parce que Caritas internationalis réussit à faire parvenir des médicaments par voie aérienne jusque sur les pistes incertaines du Biafra. Et nous continuons. Mais je ne suis pas fier du tout. Et voici pourquoi.
Quand un tremblement de terre imprévisible détruit une ville, on arrive, on soigne, on héberge, on aide. Et on a le sentiment d’avoir fait son devoir, c’est-à-dire d’avoir été le mandataire de tous ceux qui souhaitaient qu’en leur nom on aide les victimes d’une catastrophe.
Or, au Biafra, il n’y a pas de tremblement de terre. Il n’y a pas de catastrophe causée par raz de marée ou tornade ou cyclone.
Il y a des hommes qui se battent entre eux et des milliers d’enfants qui meurent par la faute des hommes. Cela ne se passe pas sur une autre planète, ni sur un écran de cinéma, ni au Moyen Age. Cela se passe en juillet 1968, à 3 heures d’avion de Paris.
Et avec comme spectateurs toutes les nations qui regardent cela, et qui ont sur place leurs reporters les documentant avec précision.
Au début, on ne disait rien. Maintenant on en parle, mais ce qu’on fait est si peu, en réalité. Si, dans un village, toute la population regardait attentivement par-dessus le mur deux familles s’exterminer farouchement dans un jardin, on condamnerait le village pour sa non-assistance à personne en danger de mort. Or, c’est exactement la même passivité, ou la même paralysie, ou la même impuissance dont fait étalage le monde entier regardant la brousse du Biafra.
On nous a dit que l’humanité avait atteint sa dimension planétaire. On nous a répété que, grâce à l’avion et à la télévision, tous les peuples étaient reliés dans une solidarité auparavant inconnue. Je veux bien croire à ces déclarations faciles, mais alors je me demande, en face des massacres au Biafra, jusqu’où chaque citoyen clairvoyant n’est pas, à des titres divers, responsable...
Si une secousse sismique fait s’écrouler la maison, la charité consiste à aider les sinistrés de la maison écroulée.
Si la haine des hommes fait s’écrouler une région, la charité ne se contente plus d’aider seulement les victimes, ce n’est alors qu’un des aspects de la charité.
La charité véritable devance la haine : elle crie pour la paix. La charité authentique est plus prompte que la guerre. Elle court en avant pour alerter les consciences.
Et à ceux qui dépensent si largement pour les armements de demain elle demande pourquoi ils semblent rester aujourd’hui si étrangement immobiles et si étrangement silencieux.
A ceux qui, enfin, révèlent au monde la vérité sur le sang qui coule, à ceux qui diffusent les précisions sur les besoins réels là-bas, elle dit merci au nom des réfugiés et au nom des enfants.
Quand les politiques sont muets, c’est la charité qui crie. Elle crie pour la paix.