Quinze joies cueillis dans le bouquet fleuri du printemps
Jean RODHAIN, « 15 joies », Messages du Secours Catholique, n° 184, avril 1968, p. 10-11.[1]
Quinze joies cueillis dans le bouquet fleuri du printemps
Pour manifester sa joie, le chien de Tobie, en retrouvant son maître, agitait sa queue[2], c’est la Bible qui le précise. Un jour je ferai un gros bouquet de tous les signes de joie dans l’Évangile. En attendant, pour Pâques, je vous offre ce tout petit bouquet de fleurettes du printemps.
SIDOINE.
Joie d’une fleur
J’ai raté ma journée. Chez l’épicier, le litre de beaujolais que j’ai acheté ne valait rien. La lettre que j’ai postée était mal tournée, je la regrette. Et sans le vouloir la phrase d’adieu à mon ami sur le quai de la gare, elle a dû le froisser. Tout est raté.
Incroyable rose éclose ce matin dans mon jardin. Je ne l’avais pas vue. Je la découvre en rentrant, mécontent, ce soir. Perfection de la forme et du coloris. En cette journée ratée, le Créateur prend soin de me préparer une réussite. Joie inattendue.
Joie de se compléter
Il avait un magnifique oiseau de toutes couleurs, avec des trilles incomparables. Et dans la même cage, un affreux moineau tout déplumé. Vingt fois j'ai critiqué cet assemblage. Et hier le propriétaire de la cage m’a tout avoué : le déplumé, c’est lui le compositeur...
Joie à l’hôpital
Je n’osais pas. Voilà un an que je me disais : il faut aller le voir. Et je ne me décidais pas. Cet hôpital est loin d’abord. Et puis quoi lui apporter ? Et puis, il doit avoir tant de visites. Et puis, il jugerait peut-être ma visite indiscrète. Et enfin il m’a certainement oublié.
J’y suis allé hier. Il ne m’a dit qu’un mot : Je t’attendais. Et c’était vrai.
Joie amère
Je me plaignais de ne pas avoir de chaussures. Je ne me plains plus depuis que j’ai vu celui qui n'a pas de pieds.
(Proverbe arabe)
Joie inexplicable
Mes frères et sœurs sont solides et sans histoires. Seul le dernier est chétif et son pauvre cerveau ne s’éveille pas.
Et c'est celui-là que ma mère préfère. Il y a de la joie dans leurs yeux quand ils se regardent, la mère et le demeuré...
Joie de se détacher
Je tenais tant à ce tableau. Et puis aussi à ce vieux bibelot. J’ai fait deux heureux. Cela a fait un vide sur le mur de ma chambre. Mais j’ai le cœur léger maintenant. Un fil de moins pour l’attacher. Un rien. Mais la paix tient à tous ces riens. La vraie joie de ne plus tenir à rien.
Joie de la vie montante
Le jour baisse. Il se fait tard. Ma vue baisse. Je vois tout par le dedans maintenant. Tout est plus calme. Je savoure mieux ce temps qui m’est encore donné. Malgré mes cheveux blancs, c’est la vie montante et la vraie joie dans mes dernières années.
Joie d'écouter
Ainsi que le disait le Seigneur :
« Il y a plus de joie à donner qu'à recevoir »[3]. Je cherche dans lequel des 4 Évangiles saint Paul a trouvé cette phrase. Je ne la trouve dans aucun. Où sont ces trésors perdus de ce Verbe fait chair qui n’a jamais écrit une seule ligne ? Mystère des trésors perdus. Et quelle joie pour ceux qui savent écouter les paroles véritables.
La manière de donner
Moi, me dit le camionneur, je suis chargé de collecter les vêtements pour le vestiaire S.O.S. Et ça dépend des quartiers. Dans le XVI° on me donne des trucs inutilisables, archi usés. Dans le XIII° et la banlieue, c’est usé, mais c’est mettable. Et souvent à un paquet de vieux vêtements, ils ajoutent une cravate neuve, ou une paire de chaussettes toutes neuves. « C’est pour la joie ajoutée » qu’ils disent...
Joie de ma rue
Non je n'irai pas. Quelle idée de me confier à moi cette quête dans ma rue pour les cancéreux. Je les connais les gens de ma rue. Le boucher est contre les quêtes. Le notaire est un ours. La crémière est une vipère. Les concierges, n’en parlons pas. Et les gens des étages, ils rigoleront doucement.
Or, un seul a fermé sa porte. Deux se sont excusés. Mais je ne savais pas que la moitié de la rue me parlerait de ses malades, et de ses enfants.
Derrière ces masques, il y a des cœurs. Quelle découverte...
Joie des enfants
Ce n'était pas une souris qui grattait à ma porte. C'était deux gamins de huit ans. Ils m’apportaient une lettre pour le Roi d’Assam dont ils n’avaient pas l’adresse. Dans la lettre, ils lui envoyaient la Micro inventée par leur classe. Sourire des deux gamins. « Mais on voudrait encore une Micro parce qu'on veut tous donner encore plus pour les Indiens. » Oui, vous aurez une Micro. Et jusqu’aux oreilles le sourire des deux gamins s’élargit. Huit ans. Ça travaille pour aider l’Inde. Huit ans. Sourire sans prix.
Joie des fenêtres ouvertes
J’ai trouvé la joie du jour où j'ai moins pensé à moi. Mes soucis étaient mon huis-clos. Je tournais en rond dans la prison de mes ennuis personnels.
Une visite par semaine au paralytique. Une visite par mois à la vraie prison : je découvre un monde. J’apprends le courage des autres. Ils ont ouvert des fenêtres dans mes mesquines murailles. Le soleil est entré. Printemps.
Joie de la louange
- Loué sois-tu, Mon Seigneur, pour notre sœur maternelle la Terre,
laquelle nous porte et nous nourrit,
riche de tant de fruits,
de fleurs colorées,
et de plantes.
- Loué sois-tu, Mon Seigneur, pour notre frère le Vent,
pour l'Air, les Nuages, le ciel pur et tous les temps.
Par eux, tu soutiens les créatures.
(Saint François.)
Joie d'apprendre
- Comme le voyageur insatiable ayant enfin atteint le sommet du col découvre l’autre vallée et les autres paysages.
- Ainsi chaque soir tous ceux que j’ai rencontrés m’ont appris un paysage. C’est un nouveau visage découvert du dedans. C’est une nouvelle page de la grande histoire, de la pauvre histoire des hommes.
- J’apprends tous les jours.
Joie de la Paix
- Flux et reflux de la mer. Alors que je suis sur la terre ferme.
- Flux et reflux de l’opinion qui se retire de celui-ci et demain portera celui-là en avant.
- Flux et reflux de tout.
- Et une seule terre ferme. Un seul point fixe. Une terre qui a des herbes amères. Un bois qui a des épines. Mais un bois solide. Un point fixe : Cette Croix du Vendredi. Et la terre de ce chemin vers Emmaüs. « La paix soit avec vous. C’est Moi, ne craignez pas. »