Jean RODHAIN, « Le carnet de Sidoine », Messages du Secours Catholique, n° 203, décembre 1969, p. 2.

Le carnet de Sidoine

Question 1

- Dans le dernier numéro de « Messages » à la page 2, vous publiez une photo évoquant la visite d’un Ministre à une réception donnée pour la sortie du livre des éditoriaux de Mgr Rodhain.

Je suis choquée par le caractère triomphaliste d’une telle réception copiée sur les usages mondains.

Réponse :

- A cette réception, j’étais moi, Sidoine, chargé du bar : je puis donc répondre en connaissance de cause.

Nous avons offert à chaque invité un bol de riz. Cela provoquait un premier mouvement de surprise. Et alors les invités apercevaient un tronc avec une inscription : « Pour envoyer des semences dans une nouvelle rizière créée au Biafra. » Ce tronc a rapporté 3.598,50 F pendant cette réception : cela nous a permis deux Micro-réalisations de plus pour les affamés du Biafra.

Si les usages mondains de demain veulent adopter cette méthode du simple bol de riz aux réceptions, je suis sûr qu’alors vous « triompherez » volontiers avec nous.

Question 2

- Après un récent congrès de religieuses, une oratrice a souhaité que toutes les religieuses effacent leur costume et s’embauchent comme salariées pour entrer dans les structures communales. Est-ce que ce même problème ne se pose pas aussi pour le Secours Catholique ?

Réponse :

Moi, Sidoine, je n’ai pas à juger les sœurs conférencières et je ne puis qu’admirer le travail d'adaptation des religieuses.

Quant au Secours Catholique, il me semble que ses équipes travaillent en vue d’une présence dans les structures.

Mais la première des structures, c’est celle dans laquelle on est placé. Avant d’entrer dans la maison du voisin, on doit consolider sa propre maison. Sinon, c’est la ville à l’envers. Que diriez-vous d’un charpentier, réputé pour avoir réussi le toit de la mairie, et qui dans sa propre maison, négligerait sa toiture vermoulue ?

Il faut, certes, être présent dans les structures communales, nationales et internationales : c’est un travail indispensable. Mais pour être « présent », il faut d’abord être soi-même en bonne santé. Si je néglige mon propre corps, mes propres structures au point de n’être plus qu’un fantôme chancelant, personne n’appréciera ma soi-disant collaboration. Dans un organisme charitable catholique, le premier devoir est d’abord, en priorité, une collaboration loyale avec l’Église catholique, une participation active dans l’Église elle-même. Si on ne le crie pas sur les toits aujourd’hui, on finira demain par participer à tout, sauf à l’Église.

Et par admirer tout, sauf l’Église.

Question 3

- J’ai vu dans un journal une photographie représentent des colis détériorés par la pluie, avec comme légende : « On gaspille les dons reçus pour le Biafra. » S’agit-il du Secours Catholique ?

Réponse :

- Je vous remercie de nous poser honnêtement la question. Et je réponds :

Primo. - Les colis S.O.S. pour le Biafra sont entreposés soit à Paris, 6, rue de la Comète, soit à l’aérodrome de Sao Tomé. Dans les deux cas, il s’agit de magasins clos et abrités dont « Messages » a déjà publié des photos.

Secundo. - Comme vous, j’ai vu cette photo dans la presse. Elle ne prouve rien, ni contre le S.O.S., ni contre la Croix-Rouge, car elle est anonyme. Il n'y a aucune indication de lieu, ni d’origine. Cette photo est donc sans aucune valeur. Elle ne permet d’accuser personne... Elle est le type même de la calomnie anonyme à rejeter.

Question 4

- Dans un mois, nous sommes en 1970. Dans trente ans, nous serons en l’an 2000. Le monde aura changé. Quelle sera alors la forme du Secours Catholique ?

Réponse :

- Primo. - Il y a cent ans, tous les journaux décrétaient que l’an 1900 marquerait « le changement du monde ». Il y a eu changement de siècle. Un point c'est tout.

Secundo. - Depuis cent ans, tous les pronostics sur la paix, sur la guerre, sur l’Église, sont tous tombés à côté. Personne n’avait prévu Hitler. Personne n'avait annoncé Jean XXIII. Aucun économiste n’avait prédit le Biafra, ni le Vietnam. Ce n’est donc pas un pauvre sacristain comme moi qui va se risquer à prophétiser...