Le carnet de Sidoine
Jean RODHAIN, « Le carnet de Sidoine », Messages du Secours Catholique, n° 200, septembre 1969, p. 2.
Le carnet de Sidoine
Question 1
- Dans le dernier numéro de « Messages » j’ai lu l’article sur saint Camille de Lellis. Or c’est le patron des aviateurs. Je m’étonne qu’il n’en soit pas question. Pourquoi cet oubli ?
Réponse :
Le patron de l’aviation est saint Gabriel. Le bon saint Camille de Lellis ne doit sa célébrité aérienne que grâce à un pauvre calembour de l’Almanach Vermot 1910 : du temps des aéroplanes « à hélices »...
Question 2
- Je voudrais retrouver un éditorial sur les bombardements au Vietnam paru dans « Messages » il y a 3 ans. Pouvez-vous me l’envoyer ?
Réponse :
- Le numéro est épuisé. Mais les éditoriaux de « Messages » vont être publiés, rassemblés dans un volume intitulé « Charité à géométrie variable ».
Parution : octobre. Coédition : Desclée de Brouwer - S.O.S.
Question 3
La dévaluation a-t-elle une incidence sur les titres et actions du Secours Catholique ?
Réponse :
a) Le Secours Catholique ne possède en banque ni titres, ni actions. Les dons reçus sont utilisés immédiatement en réalisations.
b) Au Nigeria-Biafra, comme au Vietnam, comme à Jérusalem, les transports par avion, les salaires, etc., sont payables au cours du dollar. C’est donc pour nous une augmentation immédiate de dépenses.
Question 4
- Comment, faites-vous pour tenir à jour le fichier des 930.000 adhérents du Secours Catholique ?
Réponse :
Nous employons un ordinateur I.B.M. 360-20. Si vous passez à Paris, venez visiter ce mécanisme. Nous vous invitons. Annoncez votre visite en téléphonant à 222-21-19, Demandez le poste 396, service des visites.
Question 5
- Dans un des derniers discours du pape, Paul VI emploie 5 ou 6 fois le mot « charité ». J’en suis choquée parce que ce mot date beaucoup. Ça fait ancien, dépassé. Vous ne pourriez pas proposer un mot plus moderne ?
Réponse :
- L’eau, chère Madame, date du déluge et même d’avant. Ça fait ancien et cependant j’avoue boire parfois un verre d’eau et j’ai cru voir quelques vacanciers très modernes nager cependant cet été dans cette eau antédiluvienne. Mais comme ce soir une mauvaise migraine me prive d’arguments., permettez, Madame, que je vous récite l’histoire du pigeon chinois. C’est une petite fable de ma composition.
Parabole en jaune mineur[1]
Un pauvre paysan de la plaine du Louang‑Hi avait un pigeon qu'il chérissait fort; c'était, dans sa rizière sans joie, son seul ami.
Un mandarin vint à passer et s'écria : « Oh! Oh! votre pigeon a certaines plumes qui sont noires. Je n'aime pas beaucoup ce deuil. Je vous en prie, par délicatesse pour ma sensibilité, enlevez donc cette sombre couleur qui m'offense. » Le paysan, ému, arracha sur‑le‑champ toutes les plumes noires de son cher pigeon.
Il avait à peine terminé, qu'un second mandarin, surgissant, gémit : « Ah! Ah! ce pigeon présente certaines plumes d'un blanc éclatant. Je ne souffre pas le blanc. Par délicatesse pour mes pauvres yeux, je vous adjure de m'épargner cette profonde peine. » Compatissant, inquiet, hésitant, mon paysan, une heure après, pluma son pigeon de tout duvet blanc.
A cet instant, surgit le mandarin numéro trois. Il ne dit rien. Mais ses yeux ronds, ses mains mouvantes, ses rides oscillantes firent, en vingt minutes, supposer son malaise profond. Cet homme gras et de lourdes fourrures vêtu, n'aimait pas le gris. Mon paysan ne voulant faire nulle peine à la plus frêle créature, enleva derechef à son pigeon, les plumes qui lui restaient parce qu'elles étaient justement grises.
Le pigeon nu, sans plume aucune, le soir même creva. Car le froid a peur des plumes mais n'a pas peur des mots.
Devant son cher pigeon crevé, les pattes en l'air, le paysan au cœur délicat et tendre comprit, trop tard, que la première des délicatesses consiste à respecter le Créateur et la variété de ses créatures.
* * *
A vouloir tout atténuer pour plaire à tous, on perd son temps, son caractère et ses amitiés vraies.
« Parce que tu es tiède, et que tu n'es ni froid ni chaud, je vais te vomir. » Ceci est du doux, du délicat apôtre saint Jean, le disciple bien‑aimé, en son Apocalypse, chapitre III, verset seizième.
[1] Réédition de : « Parabole en jaune mineur », Messages du Secours Catholique, n° 36, février 1954, p. 3. (note de l'éditeur)