Les frontières de la faim ne sont pas les frontières de la guerre
Jean RODHAIN, « Les frontières de la faim ne sont pas les frontières de la guerre », Messages du Secours Catholique, n° 195, mars 1969, p. 8.
Les frontières de la faim ne sont pas les frontières de la guerre
La situation des enfants du Biafra a enfin ému l’opinion publique.
La générosité pour eux a été réelle.
La Croix-Rouge, Caritas Internationalis et les Œuvres des Églises ont pu, grâce à cette générosité, risquer, et jusqu’ici maintenir, un pont aérien qui reste le seul moyen d’alimenter ces enfants.
Peu à peu l’image se simplifie dans l’opinion. On se représente une ville assiégée dont les habitants souffrent de la famine et que de bons Samaritains essayent de ravitailler en forçant le blocus.
Et sur la carte d’Afrique on délimite une tache noire correspondant au « réduit biafrais » et figurant la zone de la famine.
Or cette image simple est par trop simpliste. Je le dis parce que je reviens de là-bas, et j’ai voulu voir de mes yeux des zones dont on ne parle pas.
J’ai visité en particulier la région d’Enugu, à 500 kilomètres à l’est de Lagos, exactement au bord du « réduit biafrais ». Cette région, occupée par les troupes fédérales, a été et reste bouleversée par la guerre. Enugu, ville de 120.000 habitants, est une ville morte et totalement pillée : il ne reste que 4.000 habitants. Les autres sont partis « ailleurs ».
Les médecins des hôpitaux de la région sont inquiets. Ils ne sont pas assez nombreux. Et les antennes médicales qu’ils envoient dans la forêt découvrent une population, errante et sous-alimentée.
Ici, j’ai vu arriver dans les hôpitaux ces mêmes cortèges d’enfants dont la télévision nous a présenté tant d’atroces Images depuis six mois.
Ici, les réels efforts du gouvernement et le zèle des équipes charitables sont limités par la fluidité d’une population craintive. On n’ose avancer aucun chiffre. Mais il est évident que les frontières de la faim ne sont pas les frontières de la guerre...
Jean RODHAIN
Président de Caritas Internationalis.