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Promenade dans Rome

31 août 2017
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Jean RODHAIN, « Promenade dans Rome », Messages du Secours Catholique, n° 201, octobre 1969, p. 1-2. [1]

Promenade dans Rome

Devoir guider un groupe dans Rome est un exercice excellent. On est obligé de préparer l'itinéraire, de vérifier les dates, en un mot de travailler. Et, en plus, les questions inattendues des pèlerins - des pèlerines françaises surtout - vous contraignent à des perspectives inattendues ou a des transpositions imprévisibles.

La banque du Vatican

La plaque de marbre avec lettres d’or. « Banco di Santo Spirito » agace le pèlerin chaque fois qu’à Rome il aperçoit une des multiples succursales de ce qu’il considère comme la « Banque du Vatican ». Il faut, une fois de plus, expliquer : à l’ombre du château Saint-Ange, le vieil hôpital du Saint-Esprit, qui existe toujours, a donné son nom au quartier. Au coin d’une rue, un changeur a intitulé sa banque d’après le nom du quartier « Santo Spirito ». La banque a prospéré, elle a des succursales qui n’ont rien à voir ni avec la troisième personne de la Sainte-Trinité, ni avec le Pape. De même que l’Église n’a rien à voir dans la gestion de la gare « Saint »-Lazare, de même le Vatican n’a rien de commun avec cette banque, malgré son nom. Alors le pèlerin respire. Il comprend qu’il s’agit d’une banque privée. Il est soulagé d’un grand poids. Il croyait fermement le Saint-Siège compromis par une telle enseigne.

Le diacre Calixte

Au-delà du Tibre, voici le Transtevère. Autrefois quartier des relais de postes, ses écuries se sont adaptées : aujourd’hui ce ne sont que mécaniciens, garagistes et aubergistes groupés autour de l’admirable église de Sainte-Marie du Transtevère. Elle abrite la tombe du diacre Calixte qui fut l’apôtre de ce quartier avant de devenir pape au III° siècle. A deux pas de l’église, le Palais Saint-Calixte, enclave du Vatican, abrite les bureaux de Caritas Internationalis. Ce sont des bureaux comme tous les bureaux. Mais le groupe de pèlerins visiteurs est intrigué par l’appareil téléscripteur qui tressaute sans arrêt. Depuis le cœur de l’Afrique, depuis cette île de Sao Tomé, base de notre pont aérien, un fil direct fait parler ce télex : sans arrêt ses doigts rapides ordonnancent là-bas la ronde nocturne des avions de la Charité. Et ici ils enregistrent la statistique des enfants morts de faim au Nigeria-Biafra. Des enfants innocents qui meurent par la faute des adultes en guerre.

Or, cet appareil téléscripteur cent fois vu dans les agences de presse retient ici les pèlerins. Ils n’avaient jamais réalisé que ces enfants innocents mouraient de faim par la faute des adultes. De voir cette vérité se présenter « en direct » mot à mot sous leurs yeux ça leur ouvre les yeux. Ils ressortent de Caritas, et dans ces rues du Transtevère aussi étroites qu’un couloir H.L.M., ils sont bousculés par les enfants qui se faufilent entre les autos. Ce quartier populaire grouille d’enfants. Mais nos pèlerins, songeurs, pensent maintenant à d'autres enfants qui...

Le trésor de Saint-Pierre

Ça coûte 200 lires (100 lires seulement pour les enfants et les militaires). Et pour 200 lires vous pouvez vous promener librement entre les vitrines du trésor de la basilique Saint-Pierre. Il y a de tout dans cet ensemble hétéroclite, depuis la dalmatique attribuée à Charlemagne jusqu’à la tabatière du cardinal Merry del Val. Le guide est obligé de faire des raccourcis acrobatiques pour situer chaque objet dans son contexte historique. A la sortie le groupe de pèlerins est un peu décontenancé par cette orfèvrerie inemployée et tant de fils d’or parmi ces soieries fanées. Les pèlerines jeunes souffrent visiblement de ce qu'elles appellent « triomphalisme ». Dans le groupe il y a un technicien en publicité. Il se substitue (efficacement) au guide, et il explique : « Dans un paquet de lessive, Mesdames, ou dans un flacon de shampooing, il y a 30 % de frais de publicité et 20 % de frais de conditionnement. A la fin de l’année, calculez, Mesdames, qu’à un seul rayon de Monoprix vous avez gaspillé en fumée et emballage 50 % de vos achats. Cinquante pour cent ! Et, s’il plaît à votre voisin de consacrer, lui, 5 % seulement pour honorer son Dieu, de quel droit le faites-vous passer à votre tribunal ? Mesdames, le vrai triomphalisme, c’est votre gaspillage continuel dans vos achats où 50 % n’est que façade factice ».

Ainsi parla le technicien.

Il y eut un petit froid. Par cette lourde chaleur romaine personne ne s’en plaignit.

Saint-Laurent hors les murs

Ici, au milieu du III° siècle, le diacre Laurent nourrissait plus de 1.500 pauvres, vieillards et infirmes[2]. Ici est conservé le tombeau de Laurent martyr. Ici on a mis à jour la basilique souterraine du VI° siècle avec ses mosaïques : c’est un résultat heureux du malheureux bombardement de 1943. Ce jour-là, le premier visiteur de la paroisse dévastée par les avions alliés fut le Pape Pie XII et le monde entier fut stupéfait par cette première sortie d’un pape hors du Vatican.

Si l’on avait annoncé alors, que 25 ans plus tard un Pape voyagerait d’Asie en Afrique, la surprise aurait été totale. Et si l’on avait précisé qu’à l’O. N. U., le Pape plaiderait pour le Tiers Monde, qu’à Bombay comme à Bogota, il visiterait les quartiers pauvres, les chrétiens de 1943 auraient envié les chrétiens de 1969 pour leur privilège de posséder un Pape aussi audacieux et aussi apostolique.

Et si l’on avait ajouté que parmi les chrétiens ainsi privilégiés de 1969 beaucoup, loin d’apprécier ces gestes du Pape ne cesseraient de maugréer contre Rome et contre ce Pape audacieux, nos gens de 1943 auraient été abasourdis. Et il y a de quoi.

Panorama du Janicule

Depuis cette terrasse du Janicule, on contemple en face de soi toute Rome étalée : ses collines historiques, ses palais dont chacun marque une date, et ses clochers dont chacun signale un style. Au soleil couchant ces pierres et ces ruines prennent des teintes flamboyantes. C’est un spectacle dont on ne se lasse jamais.

Mais dans notre groupe un pèlerin, intendant en retraite, homme méticuleux et inquiet, s’est retourné vers l’autre versant du Janicule. Il scrute l’horizon entre le dôme de Saint-Pierre et Ostie. Dans ce quartier neuf les chantiers abondent. Mon intendant remarque aigrement la densité « d’édifices ecclésiastiques » (sic) et il interroge à la cantonade : « Quelle est donc la fortune immobilière de l’Église ? Et comment est-elle employée ? On cite des chiffres gigantesques. Et on ne reçoit jamais de réponse. Tous les communiqués feutrés, toutes les pieuses protestations n’y changeront absolument rien : il reste une prévention générale contre ces constructions démesurées ».

Mon insupportable intendant a raison. C’est un fait évident : actuellement dans les cercles financiers comme dans les milieux populaires, en Europe comme dans les pays du Tiers Monde, cette apparence de richesses déconcerte.

L’envoi extraordinaire d’un homme sur la lune est dû à la coordination rigoureuse de milliers de laboratoires, d’usines, de techniciens : toutes ces richesses modernes ont été ordonnancées, coordonnées, gérées en un mot, avec une rigueur moderne, un rendement, une efficacité que l’Évangile aurait hautement loués. Ces méthodes de la N.A.S.A. sont-elles appliquées dans la gestion des biens et richesses dans l’Église ? Voilà la véritable question que se pose l’homme d’aujourd’hui.

Ici, on a quêté pour un séminaire gigantesque. Trente ans après, sous prétexte que les vocations diminuent en revend le bâtiment sans aucun profit pour personne. Le public - qui a de la mémoire – n’aime pas faire les frais de ces collectes pour tant d’édifices successivement construits et supprimés.

Et si l’on passe aux secours vers le Tiers Monde, on se pose sur le plan international la même question : y a t-il eu, comme à la N.A.S.A. un plan prévisionnel avec un planning rigoureux de financement, de coordination, de contrôle ? Il semble que, sauf d’heureuses et rares exceptions, on n’ose répondre affirmativement.

On admet l’existence d’un équipement rationnel, on n’admet plus de nos jours que des domaines, ou des constructions paraissent sous-employés tandis que tant de familles manquent d’un toit ou d’un emploi.

Voilà ce qui explique - et ce qui légitime - le désir des chrétiens de voir clair dans l’emploi des biens confiés au service de l’Église servante et pauvre.

La tombe de Pierre

Ce matin, mon groupe de pèlerins s’étonne de trouver la basilique Saint-Pierre toute remplie d’une foule bourdonnante : c’est un dimanche ordinaire. Il n’y a pas de canonisation : et le Pape est encore à Castel Gandolfo. Mais la nef est parcourue en tous sens par des familles italiennes, des groupes compacts d’Allemands, des caravanes d’Anglais. On entend parler l’espagnol et le vietnamien. Cette marée internationale reflue entre les piliers pour s’agglutiner finalement autour d’un point : la tombe du premier Apôtre, Pierre. Et ensuite, tous, pèlerins ou touristes, essaient de s’insérer dans la longue file qui descend vers la crypte : on les retrouvera à genoux devant le caveau du bon Pape Jean XXIII. Cette foule sans cérémonie ni convocation reste un étonnement pour l’observateur le plus blasé.

On dit que 720 paysans des montagnes du Monomotapa écrivirent un jour au Vatican en suggérant la démolition de cette basilique Saint-Pierre considérée par eux comme signe de triomphalisme. Or les frais de démolition de Saint-Pierre de Rome réclameraient un budget supérieur à sa construction jadis. Voilà donc un exemple du calcul enfantin de ces pauvres gens.

Au lieu de démolir, qu’ils viennent donc voir et compter. Ils verront cette foule sans cesse renouvelée. Ils compteront les touristes, aussi les gens simples, à genoux devant ces tombes de Pierre l’ancien et du récent pape Jean. Quel plébiscite ! Quel référendum ! Quelle confiance priante vers celui qui a la lourde et terrible charge d'être le berger de ce troupeau !

Un pèlerinage à Rome, c’est au milieu de tant de nos palabres négatives, un réconfort.

Jean RODHAIN.

 

[1] Réédité dans : Jean RODHAIN, Derniers messages, Paris, SOS, 1985, p. 69-76.

[2] Lettre du Pape Corneille, citée par Eusèbe. Hist. eccl. VI-43. P. gr. XX, col. 622.

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