Ce camp où il n'y a que des enfants
Jean RODHAIN, « Ce camp où il n'y a que des enfants », Messages du Secours Catholique, n° 211, septembre 1970, p. 5.
Ce camp où il n'y a que des enfants
De qui s’agit-il ?
Il s'agit de 4.200 enfants originaires du triangle Enugu-Onitsha-Calabar. Pendant la guerre civile du Biafra, devant la famine grandissante, deux hypothèses se sont présentées pour sauver les 500.000 enfants présents. Les uns ont voulu les transporter au Gabon : Ordre de Malte, Terre des Hommes ont ainsi acheminé par avion 4.200 enfants. Les autres ont estimé qu'il valait mieux les nourrir sur place, dans leur milieu familial : c'est la ligne de conduite qui a toujours été adoptée par Caritas Internationalis.
Une fois les enfants parvenus au Gabon s'est posé cruellement le problème de leur hébergement. Pour le résoudre, divers organismes se sont proposés. La Caritas allemande a construit de toutes pièces un centre modèle (Kilomètre 11). Le Secours Catholique français a contribué à la mise en route du Centre Sainte Marie. Le Gouvernement français a fourni un hôpital militaire mobile qui a fait un précieux travail de dépistage et de soins. La liste serait longue des missionnaires, infirmières, et œuvres diverses qui ont collaboré à ce travail de sauvetage.
Où en est la question ?
Le processus du rapatriement des enfants biafrais est engagé. Une mission du Gouvernement de Lagos est venue visiter ces enfants à Libreville. Un accord a été signé entre le Gouvernement des provinces de l'Est (ex. Biafra) et l'Union Internationale de Protection de l'Enfance pour les problèmes d'encadrement et d'hébergement à l'arrivée sur place.
En attendant Diakonische Werk et Caritas Internationalis continuent à assumer les frais de nourriture, de logement et de soins de ces 4.200 enfants.
Qui supporte les frais de cet hébergement ?
L'hôpital français a été rapatrié en juin dernier. La nourriture, l'hébergement, les soins, la gérance du personnel d'encadrement pour 4.200 enfants de 2 ans à 17 ans exigent une organisation très lourde et très onéreuse. Elle est prise en charge à 95 % par Caritas Internationalis et Diakonische Werk dans une collaboration véritablement œcuménique. Pour Caritas Internationalis nous estimons que nos dépenses mensuelles dépassent 650.000 Francs (65 millions anciens).
Pourquoi Caritas Internationalis est-elle intervenue en faveur de ce rapatriement ?
Il faut voir l'avenir.
Le Gabon souffre du chômage. Vouloir installer ces enfants au Gabon, c'est recommencer l'erreur de l'O.N.U. installant les Palestiniens dans des camps de réfugiés il y a 25 ans. C'est fabriquer des "réfugiés professionnels".
Famille d'abord. La place normale de ces enfants est dans leur famille, dans leur tribu, dans leur milieu.
Que penser des pétitions lancées en France contre ce rapatriement ?
On a lu dans la presse française des protestations contre ce retour des enfants dans leurs familles. On a osé imprimer que les responsables de cette opération conduisaient ces enfants vers une mort certaine.
J'étais allé deux fois sur place pendant la guerre civile. J'y suis retourné depuis la paix signée. Alors je pose une seule question : ceux qui lancent ces pétitions depuis leur fauteuil parisien sont allés là-bas combien de fois cette année ?
A chaque voyage - même après mon dernier voyage - j'ai insisté clairement sur la nécessité de porter une aide efficace aux enfants en priorité[1]. C'est pourquoi le retour de ces 4.200 rapatriés est une opération délicate pour laquelle il faut prévoir tous les aspects de leur réinsertion.
Les dossiers établis au Gabon par Caritas sur chacun des enfants doivent permettre de les réinsérer dans leur milieu authentique. Le mécanisme prévu minutieusement permettra un contrôle médical suivi pour ces enfants.
Enfin, et surtout, ceci est un problème africain. Les pourparlers se sont déroulés entre Africains, ce qui est normal. Pour ces négociations et ces réalisations, les autorités de Lagos ont fait preuve de compréhension.
Notre rôle est d'apporter une aide efficace, mais discrète, à cette délicate opération du retour des enfants dans leurs familles.
De nouvelles pétitions publiées en France ne feraient que compliquer le travail de ceux qui sont sur place.
Jean RODHAIN
Président de Caritas Internationalis
[1] Le dernier numéro de « Messages » a cité des chiffres publiés par Lagos et prouvant combien la situation restait préoccupante.