Deux figures
Jean RODHAIN, « Deux figures », Messages du Secours Catholique, n° 209, juin 1970, p. 1.
Deux figures
Quand un homme en bonne santé s'en va rejoindre des pestiférés ou des lépreux pour les servir, on met chapeau bas.
Au milieu de la peste brune de l'hitlérisme, des milliers de jeunes Français en 1942 furent condamnés au travail « obligatoire ». Comme des bergers soucieux du troupeau, vingt-cinq jeunes prêtres français s'en allèrent - volontairement - les rejoindre pour une mission précise : les préserver de la propagande nazie.
La police nazie ne s'y trompa point : elle reconnut en eux un péril extrême : elle les pourchassa. Et la plupart finirent expulsés ou déportés. Un seul échappa.
Pour l'instant, quand on évoque l'histoire des prêtres ouvriers, on oublie généralement leurs vingt-cinq précurseurs du S.T.O.
Que des prêtres aient accepté ce risque, c'est normal. Mais ils ne furent pas les seuls. Sous les bombardements de Berlin en 1943, j'ai découvert une jeune militante jociste qui, bravant toutes les impopularités, était parvenue à servir comme infirmière au service des ouvriers déportés du travail. Et elle servait aussi spontanément au service d'une catégorie plus lamentable encore : les femmes françaises volontaires ...
Sans salaire. Pour rien. Pour les plus pauvres. Elle est restée ensuite à Berlin trois années pleines jusqu'au retour du dernier déporté polonais.
Huit ans après, atterrissant en Indochine pour l'opération des 800.000 réfugiés, la première infirmière que je découvre sur la brèche, c'est elle : Mimi Périé.
Et dès que la situation se gâte en Algérie, une carte postale de cinq mots me la situe dans une ambulance de Kabylie.
Elle a continué à servir. Et elle meurt le 8 avril auprès de ses malades. Et aussitôt arrivent de partout - et de tous les milieux - tant de témoignages spontanés sur cette « Mimi Périé » que deux pages de « Messages » ne suffiraient pas à les résumer.
Que ces dix lignes rappellent son souvenir uni à celui de milliers d'autres qui, en silence, sans communiqué ni déclaration, servent nos frères les malades ...
Le Père François Claudel, prêtre des Missions Etrangères de la rue du Bac, arrive à Hanoï en 1947. En 1950, il est fait prisonnier par le Vietminh qui le garde trois ans en captivité. En 1954, il devient délégué du Secours Catholique français auprès des camps de réfugiés. Son caractère vosgien le porte à trop d'indépendance vis-à-vis du pouvoir établi et le gouvernement Diem l'expulse en 1958. Affecté au Cambodge, il se consacre aux paroisses les plus pauvres. Le 19 avril, il m'envoie un message dont la brièveté en dit long :
-« Prière avertir Secours Catholique et alerter toutes forces de Charité ;
- Ai beaucoup de travail dans l'aide aux réfugiés, véritables troupeaux de moutons parqués, et dans le témoignage de la vérité ;
- Le génocide est en route, ce n’est plus une menace.
- Fonde grand espoir dans la sagesse asiatique du peuple cambodgien. Stop. Claudel. »
Le 5 mai, à bord de sa 2 CV il va porter des médicaments aux réfugiés de Neak-Luong sur la rive gauche du Mékong. Il est fait prisonnier et conduit à Veal Lebang où il est exécuté le 10 mai.
Les derniers renseignements qu'il m'a fait parvenir décrivaient la misère effrayante des camps de réfugiés de cette région.
Le Père François Claudel est mort au service des plus pauvres.
Le cas du Père Claudel n'est pas unique : il y a des centaines de missionnaires en péril dans tant de régions dévorées par la guerre.
Pendant ce temps-là, ici à l'abri de tout danger, certains discutaillent à perte de vue sur l'utilité des « missionnaires »…
Comme nous avons besoin de nous mettre à l'école de ceux qui, en silence, paient de leur temps, de leur vie, pour servir les plus pauvres…
Jean RODHAIN