Peut-on être chrétien en 1970
Jean RODHAIN, « Peut-on être chrétien en 1970 ? », Le Pèlerin, 21 juin 1970.
Peut-on être chrétien en 1970 ?
Enquête exclusive du Pèlerin
Jean Rodhain est né le 29 janvier 1900 à Remiremont, dans les Vosges. Ordonné prêtre le 12 juillet 1924, vicaire et curé dans les Vosges, aumônier des Jeunesses ouvrières de Paris, aumônier général des Prisonniers de guerre, aumônier général de l’Armée française, fondateur et secrétaire général du Secours catholique (depuis 1946), aumônier général des Prisons (depuis 1949), expert au Concile, chorévêque de l'Église syrienne d'Antioche (depuis 1965), il est président de la Caritas Internationalis et membre de la Commission pontificale Justice et Paix. Prélat de Sa Sainteté, protonotaire apostolique, Mgr Rodhain est officier de la Légion d'honneur. Il avoue deux violons d'Ingres : le jardinage et la musique.
Mgr Jean RODHAIN, secrétaire général du Secours catholique.
« Dans ce calendrier aux millions de siècles, nous sommes les premiers chrétiens ».
Question : Notre monde est dit-on, en pleine mutation. Le progrès des sciences et des connaissances semble rétrécir la place du mystère et du surnaturel. Cette évolution met-elle en cause la foi chrétienne ?
- J'attends d'abord qu'on me prouve ce soi-disant « rétrécissement » de la place du mystère aujourd’hui.
Car je suis persuadé du contraire : plus les hommes avancent, plus le mystère s'étale en première place.
Le premier homme débarquant sur la lune a loué publiquement la gloire du Créateur en découvrant les perspectives - mystérieuses - de l'espace créé.
Le dernier visiteur du Pérou reste marqué par les milliers d'enfants morts et ce mystère si actuel de la souffrance des innocents.
Le Seigneur n'est pas un valet de chambre discret qui s'efface dans le couloir quand les enfants entament glorieusement un pot de confiture. Nos progrès ne sont que de petites confitures en face des dimensions de la création. Dans la ville la plus moderne de 1970, les habitants - exactement comme au XII° siècle ou au III° siècle - finissent tous, sans aucune exception, par arriver à la porte du cimetière. Statistique de cette mortalité 1970 : 100 %, statistique inchangée malgré le progrès, et la science, et les connaissances. On y va à 100 à l'heure, mais on y va exactement. Le mystère est au bout, présent, quelles que soient nos pauvres cabrioles, ou nos glorieuses évolutions, ou nos soi-disant mutations.
Le Seigneur réclame notre foi comme sur le chemin d'Emmaüs. Tout le reste n'est que décor de carton-pâte.
Question : L'Église catholique elle-même n'est pas épargnée par les transformations, les contestations, les remises en cause. Y voyez-vous un motif d'inquiétude ou une raison de plus grande confiance ?
- C'est le propre de l'Église de n'être jamais « épargnée ». Relisons son histoire :
Au lendemain de la Pentecôte, donc au premier jour de l'Église, à quoi est consacrée la première page du premier discours du premier Pape ? A une question d'alcootest : le Pape doit démontrer aux contestataires que les apôtres ne sont pas ivres (Actes, 2, 14-15).
Au V° siècle, l'herbe poussait dans les rues de Rome désertée devant les invasions barbares.
Au XV° siècle, les fidèles doivent hésiter entre un Pape et deux antipapes dans une Église déchirée en lambeaux.
A l'échelle de l'histoire, nos petits remous actuels ont besoin d'être ramenés à de justes proportions.
Nos vingt petits siècles de christianisme n'ont pas encore atteint le cinquième de la population du globe. Nous sommes au début de l'histoire du christianisme. Dans ce calendrier aux millions de siècles, nous sommes les premiers chrétiens. Et nous vivons dans la première jeunesse de l’Église. Et c'est pourquoi je fais confiance - bien sûr - à cette époque passionnante.
Question : Comment, avec votre expérience, pourriez-vous faire le portrait du chrétien de 1970 et esquisser les conséquences concrètes de son appartenance à l'Église ?
- J'ai une expérience de prêtre. Depuis mon ordination sacerdotale, en 1924, j'ai exercé ce sacerdoce pendant quarante-six ans consécutifs. En des lieux divers, en des circonstances variées, mais je suis prêtre avant tout. Prêtre, c'est-à-dire spécialiste des relations entre Dieu et l'homme.
Dans ce domaine, plus mon expérience se prolonge, plus j'ai envie d'éliminer tout ce qui est accessoire.
Qu'il soit dans un Boeing 747 ou dans une chaise à porteur, dans un scaphandre de cosmonaute ou dans le vent du désert, l'homme a besoin de respirer une dose régulière et obligatoire d'air pur. Cela ne change pas depuis l'ère mégalithique.
De même, qu'il soit dans la cathédrale de Chartres ou dans une chapelle cubiforme, devant un parchemin enluminé ou devant un ordinateur bien réglé, le chrétien a besoin d'une dose régulière et obligatoire de foi cette source d'eau vive n'a pas changé depuis le puits de Jacob.
Ce chrétien de 1970 sera social, sera apôtre, sera donné au tiers-monde dans la mesure où sa charité sera alimentée par une foi vive. Voilà l'essentiel. On ne manquera jamais de machinistes pour la pose des accessoires.
Il y eut un chrétien qui a bien précisé cette équation permanente. Il l'a fait en ces termes : « Qui craindrais-je ? Si je vis, je sers Dieu ; si je meurs, je le vois. » Ce chrétien s'appelait saint Louis, roi de France.
Je profite de son centenaire, et puisque vous me demandez un « portrait type », je vous propose cette définition permanente...