Rêverie sur une affiche
Jean RODHAIN, « Rêverie sur une affiche », Messages du Secours Catholique, n° 213, novembre 1970, p. 2.
Rêverie sur une affiche
- La première page de ce numéro reproduit la nouvelle affiche S.O.S....
- Un slogan n'est pas un traité de théologie. Une affiche non plus.
Partage, tu prépareras la justice ?
Effeuiller la marguerite, un peu, beaucoup, passionnément, ça fait penser plus à l'amour qu'à la justice. Le dessinateur de cette affichette a de l’humour, mais finalement ce pétale qui se détache, cette séparation, cette part, tout cela fait image de partage aussi. J'en conviens.
Mais alors, quel rapport entre partage et justice ? Est-ce que si je donne ma part du gâteau, je deviens illico un homme juste ? Certes pas.
Alors, quel rapport ?
Pratiquer la justice, ce n'est pas commode. Cela coûte de tomber juste. Un mur de pierres bien ajustées, cela suppose des pierres taillées à vif. On partage un bloc pour obtenir des arêtes exactes. Alors on peut ajuster. Chaque pierre est à sa place exacte. Tout se tient dans l'ordre.
De même une structure sociale - ou politique - bien ajustée, cela suppose des hommes taillés exactement pour s'ajuster les uns aux autres. Celui qui en voulait trop doit se priver pour rester à sa juste place. Ça ne se fait pas tout seul. Il faut que celui-là apprenne à rogner sur son appétit. Il se prive d'une part. Il partage. C'est un apprentissage. A force de partager, son orgueil cède. Il comprend mieux que lorsqu'il était monolithe. Ce bloc de granit s'humanise. Il s'assouplit. Son cœur se décontracte. Ce qui était en lui ankylosé se détend. Il regarde plus loin. Le partage, qu'il pratique enfin, le prépare lui-même à comprendre les autres. Il était égoïste et dur et injuste. Le partage l'achemine vers une vue plus juste des choses et des hommes. Le partage prépare, en effet, à la justice.
Sur le bord de ma fenêtre chaque hiver je dispose des graines pour les oiseaux du ciel. Ils le savent bien, et quand j'oublie de renouveler leur pitance, ils viennent piquer du bec sur ma vitre.
Seulement les moineaux sont mal élevés et gaspilleurs. D'un même mouvement de tête ils avalent un grain et en même temps ils en dispersent en l'air cinq ou six. Malheureusement cet énorme pourcentage retombe au rez-de-chaussée sur la fenêtre de ma concierge, ce qui me vaut de mensuels reproches. J'ai longtemps pesté contre ce gaspillage insensé des oiseaux. Jusqu'au jour où mon fermier m'a tout expliqué : « Ça, m'a-t-il dit, c'est voulu par la Providence. Ne pestez pas contre l'oiseau. En dispersant les graines, il prépare les semailles de printemps. Sans lui, les graines resteraient en tas près de chaque plante. L'oiseau est le répartiteur automatique de la germination. Son travail de dispersion fait partie du merveilleux mécanisme de la création continuée. L'oiseau est un vieux technicien de l'agriculture. Il répartit. J'allais dire : il partage. »
J'avoue que je n'avais jamais pensé à cela...
Comme quoi, les moineaux - et les marguerites - peuvent nous étonner d'abord, et nous apprendre aussi bien des choses...
SIDOINE.