Au Pakistan oriental
Jean RODHAIN, "Au Pakistan oriental", MSC, n°224, novembre 1971, p. 6.
Au Pakistan oriental
La situation
Il n’y a pas que l’exode des réfugiés vers l’Inde. Il y a un autre exode, plus difficile à détecter : c’est celui des villes vers les campagnes. C’est un phénomène traditionnel à chaque famine : on quitte la ville pour rejoindre les parents dans leur ferme : on se nourrit plus facilement à la campagne. On estime que 60 % de la population urbaine a ainsi glissé vers les marais, les rizières et les forêts depuis juillet. Sauf à Chittagong où, grâce au port, le ravitaillement est presque normal.
Les secours
L’envoi de secours en nature est raréfié. On craint les réquisitions de l’armée régulière et surtout des bandes de mercenaires auxiliaires.
Par contre, les virements bancaires s’effectuent normalement, ce qui nous permet d’alimenter les plans d’aide établis après le cyclone qui, il y a un an exactement, a ravagé cette pauvre région.
Les armes
Au lendemain de la guerre des Six Jours - exactement le septième jour - j’ai conduit un représentant du gouvernement de Tel-Aviv visiter les dégâts causés par son artillerie à ce chef-d’œuvre d’architecture qu’est l’église Sainte-Anne au cœur de Jérusalem. Devant les voûtes percées, mon visiteur était gêné.
Mais avisant tout à coup au pied d’un pilier un obus de 155 court non éclaté, mon diplomate me pria de lire sur le culot de l’obus les inscriptions françaises, en précisant : « Nous utilisons des munitions françaises... » Ce fut à mon tour d’être gêné.
Car si nous vendons des armes, ce n’est pas pour les placer dans des vitrines de musée. Elles finissent par servir un jour : elles sont d’ailleurs fabriquées et achetées pour cela.
Or la récente déclaration du Général Yahya Khan célébrant l’excellente qualité de l’armement fourni par la France à l’armée pakistanaise conduit à se poser quelques questions :
Primo. - La France continue-t-elle, actuellement, à fournir cet « excellent armement » ?
Secundo. - Cet armement est-il utilisé dans la guerre civile du Pakistan oriental ?
Tertio. - Peut-on affirmer qu’on ne s’ingère pas dans un conflit, et en même temps livrer des armes pour ce conflit ?
Je pose les deux premières questions parce que j’ignore les réponses.
Par contre, pour la troisième question, je pense que la réponse est « non ». Il y a même certains autres cas récents où ce « non » a été signifié publiquement par un mot très précis : « embargo ».
Je vais au secours de ces pauvres gens. Mais, citoyen français, j’aimerais que l’action de mon pays ne soit ici que secourable : la charité crie la vérité.
J. R.