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« Donnez-lui à manger »

04 septembre 2017
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"Donnez-lui à manger", Message du Secours Catholique, n°218, avril 1971, p.1.[1]

 « Donnez-lui à manger »

On vient de terminer à Fleury-Mérogis, au sud de Paris, une prison modèle. C'est la plus vaste d'Europe. Dans le grand air des champs de blé au seuil de la Brie, chaque prisonnier jouit d'une cellule personnelle. Et tous profitent d'installations sociales et sportives les plus modernes.

Or, les préférences des prisonniers ne vont pas toujours vers ce chef-d'œuvre. Visitant l'autre jour une des prisons les plus vétustes, les moins confortables de Paris, j'interroge afin de savoir pourquoi tant de délinquants, ayant à choisir, préfèrent rester dans cet immeuble encombré et malsain. Réponse : « Ici on est quatre par cellule : cela crée une équipe. Et puis surtout on entend les bruits de la ville : la rumeur des autos, le pin-pon de la voiture des pompiers, la sirène des ambulances ; on se sent moins coupé du monde... »

Un lien humain : la voiture des pompiers, leur paraît plus précieux que le confort d'un bâtiment climatisé...

 

Au milieu du pays des Etrusques, sur la route de Rome à Florence, la ravissante cité moyenâgeuse de Tuscania a été détruite par un tremblement de terre au milieu de la nuit[2]. La radio l'annonce au petit matin. Me trouvant à Rome, il m'était facile d'être sur place le jour même.

Je suis habitué aux catastrophes. J'étais à Skopje et au Biafra, à Fréjus et au Pakistan. Or, à Tuscania, pour la première fois de ma vie, j'ai vu en place dès la première heure des secours impeccables. Un régiment du Génie avec projecteurs, grues et bulldozers, déblayait les rues. Les pompiers de toute la province étaient à l'œuvre pour sonder les maisons en ruine. Une intendance militaire distribuait des couvertures et des rations vitaminées. Cela respirait l'ordre et la méthode : on se serait cru en Allemagne plutôt qu'au niveau du Tibre...

Mais cependant, à l'écart de cette horlogerie rationnelle, on faisait queue devant la salle paroissiale. Ici, on ne distribuait rien. Mais chacun confiait son chagrin. La grand-mère avait touché sa ration vitaminée ; mais elle aimerait tant un fichu pour sa pauvre tête douloureuse. Ce jeune ménage souhaitait que l'on télégraphie aux parents de Turin pour les rassurer. Cet ouvrier, craignant de perdre sa place, demandait si un messager pourrait expliquer à son employeur romain qu'il lui fallait rester auprès de son clapier éventré pour récupérer ses lapins...

Et ce minuscule bureau d'entraide locale devenait, sans disposer d'aucun crédit, le confident de tout un petit peuple ayant tout perdu...

L'Intendance avait tout prévu. Sauf un lien humain, plus précieux que toutes les rations vitaminées...

Au bord du lac de Tibériade, Jaïr, le chef de la Synagogue, tombe aux pieds de Jésus parce que sa fille unique - douze ans - se meurt.

Jésus décide de se mettre en route vers cette demeure éprouvée. Un cortège se forme pour l'accompagner. On se bouscule. Dans la bousculade, rien qu'en touchant la frange de son manteau, une femme infirme est guérie. On crie au miracle. Acclamations. Bousculade. On repart. Pierre intervient pour mettre un peu d'ordre dans ce troupeau. On arrive enfin devant la Synagogue. Voici en face la maison de Jaïr. Les pleureuses de la mort sont déjà à l'œuvre. Les joueurs de flûte aigre aussi. C'est un bruit infernal. Miracle : Jésus guérit l'enfant mourante. Acclamations. Remous dans la foule. Enthousiasme dans toute la ville qui trépigne et danse de joie. Emotion des parents. Mais Jésus va parler. Silence.

Quel dogme va-t-il enseigner ? Quelle prophétie bouleversante va-t-il proclamer ? Il ne dit que trois mots : Il recommande de donner à manger à la fillette. Alors que les parents hurlent de joie, alors que la foule fait éclater sa louange, le Fils de Dieu pense à l'appétit de la petite fille qui n'a pas mangé depuis ses trois jours de maladie. (Marc V, 43).

Un lien humain, plus significatif que les éclairs du tombeau de Pâques. Un geste humain comme ce morceau de pain rompu avec les disciples d'Emmaüs. Un lien humain qui vous atteint plus encore que le miracle de l'enfant guéri. « N'oubliez pas de lui donner à manger ». Les prévenances du Christ. Dans la gloire éclatante du tombeau vide, ces prévenances du Christ sont une des joies secrètes de Pâques.

Jean RODHAIN.

 

 

[1] Réédité dans : DM, pp.39-42.

[2] Nuit du 6 au 7 février 1971.

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