Le carnet de Sidoine
Jean RODHAIN, « Le carnet de Sidoine – Sidoine plagiaire », Messages du Secours Catholique, n° 221, juillet-août 1971, p. 2.
Le carnet de Sidoine
Sidoine plagiaire
Question 1
- On parle de la Révolution verte. On affirme que - grâce à la F.A.O. - des variétés sélectionnées de blé et de riz ont permis des rendements dix fois meilleurs. Est-ce exact ? Est-ce que cela résout le problème de la famine ?
Réponse
- Il ne fait aucun doute que le développement et l'introduction des variétés à haut rendement constituent un événement technologique de la plus haute importance. Mais on peut dire sans crainte de jouer sur les mots qu'elles contiennent les germes de nouveaux dangers. Comme elles sont immédiatement plus efficaces dans les régions irriguées que dans les régions sèches ou non irriguées et comme elles profitent aux agriculteurs riches tout en laissant les plus pauvres dans la même condition qu'avant, elles risquent non seulement de perpétuer, mais même d'aggraver les inégalités sociales existantes.
Question 2
- Il y a dix ans, au commencement des campagnes Faim dons le Monde, on prétendait que dans les pays confortables, on mangeait trop. Peut-on encore avancer une affirmation aussi simpliste et l'opposer aux régions sous-alimentées ? En 1971, que voyons-nous d'exact dans ce tableau ?
Réponse
- Que voyons-nous, en effet ?
D'une part, de vastes régions où ni les terres ni les eaux ne sont exploitées convenablement, où la majorité de l'humanité est, d'une manière ou d'une autre, mal nourrie, où les campagnes sont peuplées de millions d'habitants vivant dans une misère extrême et où la plupart sont incapables de trouver du travail. D'autre part, sur une petite fraction du globe, il semble que les denrées alimentaires sont produites en beaucoup trop grandes quantités : et d'innombrables personnes meurent de maladies provoquées en partie par la suralimentation. Peut-on imaginer situation plus absurde que ce déséquilibre complet entre l'agriculture et la consommation alimentaire dans le monde actuellement ?
Question 3
- Dans les pays riches, on parle d'excédents alimentaires. A-t-on une idée, même approximative, de ces excédents ?
Réponse
- La valeur des excédents alimentaires produits chaque année demeure très voisine de 1 milliard de dollars. Bien utilisés, ces excédents pourraient exercer un effet incontestable sur le développement, surtout si l'on parvenait à se prémunir contre la perturbation des marchés internationaux, et plus encore de ceux des pays bénéficiaires.
Question 4
- Il semble que dans les structures internationales (la Conférence de New Delhi en est une image), c’est la loi de la jungle qui règne pour le commerce agricole mondial. Est-ce exact ?
Réponse
- Les pays en développement ont tout à fait raison de se plaindre des politiques protectionnistes suivies par le monde développé, qui entravent leurs efforts d'exportation. En fait, on n'a pas fait grand chose. A part quelques groupements régionaux, zones de tarifs préférentiels, accords ou ententes officieuses sur les produits, il n’y a guère eu de coopération sérieuse entre les pays pour l'harmonisation des politiques nationales ou des mesures portant sur l'agriculture.
Question 5
- Quand dans une petite entreprise il y a un déséquilibre considérable entre deux catégories de personnes, cela doit inquiéter. Doit-on être inquiet de la situation alimentaire, en un mot de la FAIM dans le monde ?
Réponse
- Si de futurs historiens vivant en un siècle qu'on veut espérer plus raisonnable analysent un jour la situation, ils concluraient, ou concluront probablement, qu'en ce qui concerne la production et la distribution des denrées alimentaires, le monde actuel est fou.
Question 6
- Mon cher Sidoine, je vous interromps. Vos réponses ont l'air péremptoires, mais un peu solennelles. Je ne reconnais pas votre style, habituellement plutôt cocasse. Enfin la dernière ligne de la réponse 5, « Le monde actuel est fou », me semble manquer de mesure. Expliquez-vous.
Réponse
- L'explication est simple : je suis un plagiaire. Oui, je l’avoue, il n'y a pas un seul mot de moi dans ces cinq réponses ci-dessus. Toutes les phrases, toutes, même la dernière ligne de la réponse 5 : « Le monde actuel est fou », je les ai copiées mot à mot chez le plus grand spécialiste mondial de la Faim. Toutes mes réponses sont extraites - textuellement - d'un discours prononcé à Paris le 14 mai[1] dernier par M. Addeke H. Boerma, directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (F.A.O.).
Ce discours donne un tableau exact du déséquilibre actuel entre les pays trop alimentés et les pays sous-alimentés.
Ce discours analyse les échecs et il se termine - heureusement - en esquissant certaines solutions d'avenir.
Ce texte nous rappelle l’Évangile condamnant la folie de ce monde.
La Faim existe...
[1] Discours prononcé à l'occasion de la dix-huitième Conférence de la Fédération Internationale des Producteurs agricoles célébrant son vingt-cinquième anniversaire.