Le signe des trois mages
Jean RODHAIN, "Le signe des trois mages", MSC, n° 225, décembre 1971, p. 3.
Le signe des trois mages
J’aime beaucoup les trois Rois Mages. Et j’y crois.
Je sais bien que l’Évangile ne précise pas leur nombre. Ni leur royauté. Mais il multiplie les précisions sur leur voyage et leur présence. Et plus je voyage en Orient, plus la présence de ces Orientaux autour de la crèche me semble un signe extraordinaire.
J’ai vu à la télévision les fêtes de Persépolis. Dans les ruines du palais de Darius, une féerie multicolore. Un cortège royal. Le peuple n’y était pas, hélas. Mais il y avait partout de l’or et de la couleur. Même en 1971 l’Orient est capable d’organiser un cortège royal. Cela rend vraisemblable ce cortège des Mages venant de l’Orient.
Vous avez vu à la télévision les Américains sur la lune. Pour Mars ils dépensent encore plus de millions de dollars. Ces étoiles intéressent aussi les Russes. Et les savants du monde entier en 1971. Cela rend vraisemblable que trois Mages astronomes aient attentivement observé, eux aussi - il y a 2.000 ans - une étoile.
Quand on va de Jérusalem à Jéricho on est saisi par des points fixes. Le Mont des Oliviers, quoique défiguré par un building américain, présente, partant de Béthanie, ce chemin creux entre les vignes où, indiscutablement, le Christ est passé le soir du Jeudi saint. Parvenu à mi-chemin de Jéricho, on voit scintiller comme un disque d’acier cette Mer Morte qui marque le lieu de Sodome calcinée. La route récente est bien goudronnée. Mais tous les enfants du pays vous montrent aussi en contrebas la route de jadis, toute caillouteuse. Et puis, à flanc de montagne ce raide sentier qui raccourcit toutes les courbes : « le chemin des Rois Mages ». Le nom est resté. C’est le chemin de la fuite rapide dont parle saint Matthieu (11,12). Ainsi la tradition a marqué la géographie. On se souvient longtemps en Orient.
Le train n°505 part de la gare d’Austerlitz à 18 h 05 et rejoint Bordeaux sans arrêt. Si je vais à Bordeaux, il me faut donc arriver en gare avant 18 heures, et si je dois seulement me rendre à Libourne, il me faut prendre sur la même ligne un autre train.
Ceci, je le sais. Je le crois, parce que « c’est écrit » dans l’indicateur de la S.N.C.F.
Parce que « c’est écrit » dans l’indicateur, je le crois. Quand c’est écrit dans la Bible, je le crois encore plus fort. Évidemment.
Comment se fait-il, que l’enfant de chœur qui m’a servi la messe ce matin me demande si les Rois Mages ont existé ? Quel est le cuistre compliqué - dévot à tout l’indicateur S.N.C.F. - qui dans le cœur de cet enfant de 9 ans a osé jeter un doute sur l’Écriture ?
On devine les pseudo-arguments employés avec mélange de vitriol et d’ironie en vue de défigurer ces pages d’Évangile pour lesquelles les premiers Chrétiens ont donné leur vie. Ces gens-là avaient la foi. Comme ont la foi ces millions de Musulmans qui se prosternent à l’heure dite. Quelle leçon pour nous qui discutaillons sans cesse chaque fois qu’un verset de la Bible ne cadre pas exactement avec nos petites habitudes.
Les évêques français revenant de Rome ont insisté sur l’importance prise au Synode, par les évêques du Tiers Monde . Et tels leaders que les Européens considéraient comme des clefs de voûte ont été remplacés par des évêques de couleur. Un Noir, un Jaune. Les uns s’en réjouissent. Les autres cherchent des explications.
Moi je regarde la crèche de mon enfance. Ces trois Mages, de trois races, plantés là non point par un folklore quelconque, mais par le texte de l’Écriture inspirée du Saint Esprit, étaient un signe.
Ces hommes du Niger ou du Gange, ces millions de vivants façonnés par le Créateur et qui, depuis des centaines de siècles, ont adoré ce Créateur à leur manière, ces mentalités d’Asiatiques ou d’Africains, nous risquons à chaque instant de les oublier, et de nous croire, nous Français, le centre du monde.
Autour du Sauveur Jésus, dès sa première enfance, voici toutes les races réunies.
Pas besoin de signer tout d’un coup une déclaration antiraciste. Le Seigneur se présente encadré de trois Mages, le noir, le jaune, le cuivré : c’est un signe.
Ce soir, au n°6 rue de la Comète, dans le hall de la Cité-Secours, on refuse du monde . Car, malgré les démentis officiels, le grand jeu de quilles international du dollar commence à faire des dégâts : les chômeurs font la queue devant toutes les Cités-Secours. Sur le trottoir tous les visages sont gris. Mais sous la lumière crue du hall on distingue tant de visages de couleur : des noirs, des jaunes, des cuivrés...
On pense aux présences de la crèche. Mais ceux-ci ont les mains vides. Les pauvres...
Comprendrons-nous ces signes ?
Jean RODHAIN.